Espionnage à la mode russe
Kirill Griaznov, ressortissant russe candidat d'une émission de télé-réalité en Russie a été arrêté par la DGSI le 21 juillet 2024 dans l'appartement qu'il occupait rue Saint-Denis à Paris. La perquisition a permis de mettre la main sur du « matériel diplomatique »... Griaznov a été inculpé le 23 juillet pour « intelligence avec une puissance étrangère en vue de susciter les hostilités en France » (peine encourue de trente ans) et placé en détention provisoire à la prison de la Santé.
Le 8 mai 2024, Kirill Griaznov venant de Moscou, se prépare à embarquer à bord d'un appareil assurant la liaison Istanbul - Paris. L'homme étant éméché, l'équipage lui interdit l'accès à l'appareil. Il décide de se rendre en Bulgarie à bord d'un taxi ! Parvenu à la frontière il change de taxi pour se rendre à St Vlas, une petite station balnéaire sur les bords de la mer Noire où il possède un appartement. Quelques jours plus tard il embarque à l'aéroport de Varna à destination de Paris. Chemin faisant il aurait demandé au chauffeur de taxi de s’arrêter dans un restaurant et aurait téléphoné à son agent traitant russe, de lui dire deux mois avant le début des Jeux Olympiques de Paris : « Les Français auront une cérémonie comme il n’y en a jamais eu ». Phrase qui va placer les polices et les services de renseignement européens en alerte (en fait il aurait été « détronché » dans l'appareil par un passager).
En 2007 Kirill Griaznov alors jeune avocat diplômé de la Faculté de droit à Perm travaille pour le cabinet Hoogewerf & CIE luxembourgeois et en 2009 pour OCRA Worldwide une entité commerciale internationale. Les enquêteurs ont connaissance d'un e-mail avec en pièce jointe un dossier sur Andreï Beliachov, ancien major Spetsnaz qui a participé au second conflit en Tchétchénie... Autre pièce du puzzel, Dmitri Griaznov, son frère, est chef de cabinet au secrétariat de l’Assemblée de l’Union Biélorussie-Russie connu pour être un repère d'agents du FSB et GRU... En 2010 il s'incrit à un atelier culinaire au Cordon bleu situé dans l'ancien Hôtel de la Marine à Paris (tarifs de 13.000 à 55.000 euros selon la durée) dans le but d'obtenir un visa Français. L'homme se présente comme un opposant à Poutine et qui veut échapper à la mobilisation. Il ne veut pas aller combattre sur le front ukrainien. En 2011 il fait une saison comme « chef cuisinier privé » dans un restaurant fréquenté par des Russes fortunés à Couchevel. Au mois de septembre 2012 il adresse un courriel à sa logeuse Viviane H : « Je travaille pour le gouvernement de Moscou ». En 2019 il est la vedette d'une émission de télé-réalité russe « à la rencontre de l'amour », profession homme d'affaires, mais c'est le « chef cuisinier » qui propose ses recettes sur Instagram (10.000 followers).
Petit retour dans le temps, le patron du KGB est arrêté le 21 août 1991 suite à la tentative du coup d’État avorté (Gorbatchev) ; le ministre de l'Intérieur préfère se suicider. Le KGB est dissous le 11 octobre et ses attributions confiées aux : Service de sécurité (MSB), service central de renseignement (TsSR), Comité pour la surveillance des frontières (KOGG) et à l'Agence Fédérale pour les Communications et l'Information (FAPSI). Le 8 décembre l'Ukraine et la Biélorussie proclament la Communauté des États Indépendants (CEI). Un accord prévoit l'échange de renseignements entre les ex-République de la CEI et le SVR (service de renseignement extérieur créé le 18 décembre 1991) avec la possibilité d'intervention à partir de ces États ! L'espionnage entre les membres de la CEI est interdit au mois d'avril 1992. Le GRU (renseignement militaire) reste sous les ordres de l’État-major général.
Dans « Paris, secrets d’espions » diffusé sur France 5 au mois de mars 2022, les réalisateurs Nicolas Bourgouin et Amandine Stelletta parlent de 10 000 à 15 000 agents étrangers dans la capitale et d'en avancer les raisons suivantes : « Avec ses deux aéroports, ses sept grandes gares, ses hôtels de luxe, mais aussi ses multiples stations de métro, ses magasins, ses cimetières, ses passages et ses églises, Paris offre, sur un territoire relativement restreint, de nombreux lieux propices aux actions plus ou moins discrètes, de la remise de documents aux tentatives de séduction, voire l’assassinat pur et simple. Séduire, infiltrer, compromettre, déstabiliser : les bases du métier ».
Pour Sergueï Jirnov ancien agent du KGB passé par l'ENA, « Les Français restent un peu naïfs par rapport au niveau d’espionnage de la Russie ». Le 28 septembre 2019 le contre-espionnage italien photographie un lieutenant-colonel français en compagnie de Iouri A, un officier du GRU à Stresa. L'officier supérieur est en poste sur la base de l’OTAN à Lago Patria. « Cette base est chargée de la surveillance de la zone Moyen-Orient, Méditerranée et mer Noire, mais aussi de la planification et de la conduite d’opérations de l’OTAN ».
La Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense signale les faits à la justice. « L », 54 ans, est interpellé le 17 août 2020 par les hommes de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure alors qu'il s'apprêtait à repartir en Italie à la fin de ses vacances passées en France. La ministre des Armées Florence Parly confirme le 30 août qu'un « officier supérieur est sous le coup d'une procédure judiciaire pour atteinte à la sécurité, en vertu de l'article 40 du Code de procédure pénale, qui impose à toute autorité publique de signaler à la justice un crime ou un délit dont elle a connaissance ».
Placé en garde à vue « L » nie avoir été recruté par les services secrets russes. Confronté aux photographies il se ravise et reconnaît une discussion en langue anglaise avec un étranger à Stresa sur les bords du lac Majeur lors d'un séjour touristique. Présenté à un juge d'instruction, « L » maintient le caractère inopiné de la rencontre qui a duré 150 minutes, et déclare qu'il ignorait la fonction de son interlocuteur auquel il aurait « montré un écran d'ordinateur ». Le Juge d'Instruction de clore l'audition et de lui signifier sa mise en examen pour « livraison à une puissance étrangère d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » (passible de quinze ans de détention criminelle) et de le placer en détention provisoire à la prison de la Santé à Paris le 21 août.
Convoqué devant le juge d'instruction fin janvier 2021, « L » rapporte les propos que Iouri lui a tenu : « on vous connaît, on sait qui vous êtes, on sait où vous travaillez, on aimerait que vous nous transmettiez des choses qui touchent la Russie ». L'officier reconnaît n'avoir pas exprimé son refus ouvertement ni acquiescé. Il a conservé cependant les clés USB et le téléphone remis par Iouri A « sans s'en servir », à l'exception du téléphone, allumé une fois. « J'ai parfaitement conscience qu'il puisse m'être reproché de n'avoir pas immédiatement rendu compte de cet incident. J'ai considéré qu'il demeurerait sans suite, et voulu ainsi éviter des circonstances houleuses ». L'officier supérieur nie « catégoriquement avoir été recruté par les services secrets russes et avoir livré des informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Selon un rapport de la DRSD du 10 juin 2020 « Une compromission d'informations classifiées n'a pas été avérée », des journalistes d'écrire qu'il n'était pas habilité " Secret ce qui paraît surprenant.
L'officier « aurait été approché, sans qu'on comprenne pourquoi, par un officier russe qui lui aurait proposé de travailler pour ce pays, proposition qu'il aurait acceptée passivement dans un moment de trouble ». Le lieutenant-colonel « L » passé par l’Ecole spéciale militaire Saint-Cyr promotion Capitaine Hamacek 1989-1992 est un « russisiant » (Spécialiste du monde russophone) qui a été attaché militaire au Kazakhstan de 2014 à 2016. A-t-il été approché dès Saint-Cyr ? lors de son passage au Centre de formation interarmées au renseignement, à Strasbourg ? durant son passage à l’Ecole de l’OTAN en Allemagne ? ou lors de ses missions en Finlande ? « L » a été placé sous bracelet électronique au mois d'août 2022 et libéré sous contrôle judiciaire. « Une partie du dossier d'instruction demeure classifiée et ces procédures judiciaires sont assez souvent, au moins en partie, à huis clos ».
Le 5 avril 2022 la France expulse 35 diplomates russes déclarés persona non grata opérant pour le SVR ou le GRU à partir de l'ambassade de Russie et des consulats de Marseille et de Strasbourg. Quelques jours plus tôt, six autres officiers du renseignement russe surpris en flagrant délit d'achat de documents secrets auprès d'une source française, ont été renvoyés, ce qui porte à près de la moitié les espions russes identifiés par la DGSI.
Cela n'a jamais été aussi facile pour les agents clandestins, itinérants et agents dormants russes de s'infiltrer en France depuis l'implosion de l'URSS (1989). On estime à plus de 53.000 le nombre d'expatriés russes en France, dont 15.000 dans les Alpes-maritimes, et à 100.000 le nombre de russophones dans le Sud-Est ! La présence russe est au 9° rang des étrangers sur la Côte-d'Azur avec 300.000 séjours par an (10.000 résidences secondaires). Aujourd'hui rien de plus facile de percevoir des fonds au travers d'une activité commerciale sensée leur assurer une source de revenus réelle ou fictive : épicerie, restauration, institut de beauté, artisanat, immobilier, etc. Ajoutez à cela les taupes, les agents double, voire triple des anciennes républiques ayant rejoint l'OTAN et des pseudo-réfugiés et vous aurez seulement le pareclose de la mosaïque de l'espionnage russe en France. Une correction, une précision, une remarque ?
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