Dépasser Marx ou la nouvelle classe dominante
Le problème avec nos illustres prédécesseurs est que parfois nous avons peur de nous en affranchir.
Ainsi Karl Marx nous a appris que la lutte des classes était consubstantielle à l’histoire.
Il nous a également appris que sa forme moderne était celle du capitaliste contre l’ouvrier. Nous avons certes compris que l’ouvrier disparaissant de nos société, merci la désindustrialisation, l’analyse marxiste avait vécu.
Mais nous n’osons pas aller plus loin. Pourtant Marx est mort depuis quelque temps et si il y a une chose à retenir de sa théorie c’est que la lutte des classes ne cesse pas, mais que les classes évoluent.
Donc essayons de dépasser Marx, le grand homme sera indulgent si la réflexion nous induit en erreur ou à dépasser les canons de la théorie marxiste. Mais il n’est plus là pour faire le travail à notre place.
Donc revenons au canon marxiste : il existe deux classes : l’une qui génère la valeur ajoutée et qui est ensuite prélevée par des mécanismes divers de cette valeur ajoutée pour nourrir la seconde classe.
Cette seconde classe est la classe dominante, infiniment moins nombreuse par nature, mais ayant le contrôle de la société et des moyens de production via les titres de propriété. Autrefois c’était la terre, puis ce fut le capital. Aujourd’hui encore les titres de propriété restent infiniment concentrés. Puisqu’une infime minorité possède plus de la moitié de la richesse mondiale.
Ceci étant posé, en quoi notre monde moderne a t’il tant changé ? Jusqu’ici tout ce que nous avons dit est compatible tant avec le canon marxiste qu’avec le monde moderne. Et c’est là ce qui nous induit en erreur.
Du temps de Marx, l’agriculture représentait l’essentiel de la valeur ajoutée. L’industrie venait ensuite et les coûts de distribution étaient par comparaison relativement négligeables. Mais il faut reconnaître que la classe capitaliste a bien travaillé. Les gains de productivité continus de la mécanisation ont contribué à réduire massivement les coûts. L’agriculture ne représente plus que quatre à cinq points de PIB, l’industrie une vingtaine de points et l’on peut faire l’hypothése que les coûts de distribution représentent probablement sensiblement autant que l’industrie au plan mondial.
Donc la valeur ajoutée est autant dans le fait d’amener le produit au bon endroit que de le produire. Si l’on y ajoute les coûts de marketing, la balance penche certainement sensiblement du côté du service. Le prolétariat industriel ne peut donc pas être la classe exploitée de notre temps. En fait le capitalisme a sûrement beaucoup simplifié les choses. La classe exploitée est probablement celle qui n’a pas de pouvoir de marché. Dans ce sens, les ouvriers, les employés facilement substituables, même les propriétaires de petites entreprises font partie des proies. De ceux qui reçoivent moins de valeur ajoutée que ce qu’ils créent.
En face vont ce trouver ceux qui ont un pouvoir de marché et qui peuvent fixer leurs prix. Nous ferons cependant l’hypothése que cette classe n’est pas homogène comme l’étaient les capitalistes de Marx, mais qu’au contraire elle est constituée de différentes couches ayant plus ou moins de pouvoir de marchés qui s’imbriquent ensemble, mais qui peuvent aussi basculer de la classe dominante au prolétariat surtout si la chute du taux de profit impose de sacrifier certaines parties de la classe dominante. Nous allons donc tenter une classification grossière :
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La catégorie la plus basse est celle de ceux qui par une qualification plus ou moins rare peuvent imposer un surprix. Un soudeur capable de souder un pipeline peut espérer un salaire supérieur, un médecin… Le mécanisme est simple, mais le système capitaliste est voué à réduire ces qualifications en les rendant inutiles. La maîtres tisserands, les maîtres forgerons ont été remplacés par des machines, demain l’IA veut remplacer les médecins et nombre d’autres fonctions. La qualification est une course sans fin pour rester en dehors du domaine couvert par la machine. Globalement cela finira par basculer.
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Plus sûr encore ceux qui s’appuient sur un privilège légal. Les huissiers, les notaires, évidemment là encore le capitalisme s’occupe de réduire, le capital n’est pas partageur. La commission Attali, pour ceux qui s’en souviennent, fut un bon exemple de ce genre de réduction.
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Il existe alors une autre catégorie, ceux qui gagnent leur part par leur relation sociale. Comme disait Coluche, il y a deux types d’avocats, ceux qui connaissent la loi et ceux qui connaissent le juge. L’IA peut remplacer l’avocat qui connaît la loi, mais elle n’invitera pas le juge en vacance ou à jouer au bridge. Ceux qui ont suivi les vicissitudes du sieur Duhamel peuvent ainsi constater comment un petit prof d’université pouvait jouir d’un pouvoir d’influence sans commune mesure avec sa place dans les organigrammes officiels simplement en étant membre des bons réseaux.
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Voilà pour les gagne-petit, après cela se trouvent ceux qui tirent leur argent de leur titre de propriété. C’est la rente ou la grande rente. Actions obligations. Le mécanisme est connu et, après l’euthanasie des rentiers entre les deux guerres et les Trentes Glorieuses, l’éloignement des guerres mondiales a été au cœur de la révolution néolibérale qui a rétabli leur privilèges. Là encore une classe contemporaine de Marx qui fait son retour. Et souvent nous nous arrêtons là dans ce monde gentillement familier. L’ennemi est le capitaliste qui du haut de ses titres exploite la sueur et vit sur le dos du pauvre.
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Mais le monde a changé. Au XIXième siècle le capitaliste gérait souvent lui-même sa fabrique. Dans les grandes familles Noël Shoudler raconte, parlant de son père : « Le matin il était à la porte de la fabrique pour voir qui était en retard. » Déjà du temps de Noël Schoudler la fabrique n’est plus dirigée en personne par le vieux. Elle a un directeur et le vieux est entouré d’hommes qui gérent pour lui. Le principal étant Simon Lachaume, factotum qui assure le suivi des affaires et exécute les sales boulots. Mais aujourd’hui qu’en est-il ? Les entreprises sont plus vastes et les Simon Lachaume gérent les affaires au quotidien. Il sont CEO, CFO, COO, dans le privé. Dans la banque ils sont gestionnaires de fonds et gérent tant les fortunes des capitalistes que les retraites des retraités californiens. Car voilà une différence, avec l’avènement des classes moyennes, le bien des pauvres s’est tout de même un peu développé. Mais pourquoi leur assurerait-on un rendement correct ? Le systéme financier consolide leurs avoirs et utilise leur argent pour financer le monde des affaires et les défits publics. Dans le public cette classe de mandataires s’est aussi developpée et l’intégration entre le monde des affaires et l’État fait que la classe des mandataires privés et des mandataires publics a fusionné. On peut ainsi voir un jeune énarque passer de l’adminstration aux banques d’affaires, puis revenir dans l’adminsitration avant de renouveller le pacte d’esclavage avec la classe rentière et ainsi devenir président de la République. L’on a vu les affrontements entre Chiraquiens et Sarkozistes en arrière-plan dans les déchirements du groupe Lagardére.
Et telle est peut-être la conclusion à en tirer. Nous ne luttons plus contre le capitaliste, le patron de PME est aujourd’hui un gibier comme un autre, la gestion du COVID va d’ailleur en faire la récolte. Nous luttons contre un accord entre les rentiers du grand capital et la haute techostructure au sens de Galbraith qui essaie de devenir de plus en plus une classe s’autoreproduisant. Or cette classe qui partage une religion de la gestion plus qu’une capacité à apporter est de plus en plus vorace et destructrice de richesses.
L’ennemi a changé, il importe de le nommér pour l’affronter correctement.
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