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Accueil du site > Tribune Libre > De la guerre d’Algérie n° 7

De la guerre d’Algérie n° 7

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Manifestation Sétif 8 mai 1945

L’AFFAIRE DE SETIF, GUELMA – Suite.

NB - Sources : Roger Vétillard – Sétif, Guelma, Mai 1945 – Massacres en Algérie – Editions de Paris. (Seconde Edition revue et augmentée).

Tous les extraits du livre de M. Vétillard, sont retranscrits dans mon article, entre guillemets ou en italique. Avec reports Notes de Bas de pages, pour les références bibliographiques, documentaires, notées par M. Vétillard.

À 9 heures, ce 8 mai 1945, les autorités locales demandent des renforts.

9 h 15, 4 policiers arrêtent le cortège de scouts. « Les horaires sont ceux qui figurent sur le rapport du commissaire principal Jules Bergé ».

Le commissaire Olivieri et Valère, les inspecteurs Haas et Fons vont à la rencontre des responsables qui ne sont pas des inconnus pour Olivieri. Il leur rappelle leur engagement auprès du Sous-Préfet, et, par conséquent « … leur demande de faire disparaître les banderoles et le drapeau interdits, conformément aux ordres du Sous-Préfet... »

Le commissaire se dirige vers le porteur de drapeau et tente de lui enlever des mains. Le commissaire est bousculé et jeté à terre. Immédiatement protégé par ses collègues, au milieu des manifestants menaçants qui crient : « ektelhou, edkou  » - (Tuez ! Egorgez !)

Les manifestants ont pour directives de la part des organisateurs, de mourir plutôt que « laisser les couleurs nationales tomber entre les mains de l’ennemi ». (Témoignage de Zighad-Tayeb in Redouane Aïnad-Tabet p. 263.)

Extrait du témoignage de Robert Olivieri, neveu du commissaire qui le tient de son oncle :

9 h 20, « un des meneurs de la manifestation sort une arme. Le commissaire appelle à l’aide, se défend avec sa canne et tire un coup de feu en l’air. Dans la bousculade qui précéda les coups de feu, mon oncle reçut un coup de bâton dans les reins, ce qui lui valut de porter un corset de plâtre pendant de longs mois. Quelques instants plus tard, en tentant de disperser les manifestants, il faillit être poignardé par l’un d’eux, mais fut sauvé par un employé du Café de France qui assomma l’agresseur à l’aide d’une chaise ».

Cet épisode est relaté dans « La vérité sur l’insurrection du 8 mai 1945 » - P. 64-65 de M. Villard. Témoignage confirmé par MM. Pierre Colombier et Louis Fagès qui assistaient à la scène depuis le balcon de l’Hôtel de France.

Le coup de feu tiré par M. Olivieri (tiré en l’air pour se dégager) déclenche l’émeute. Bien que ce coup de feu n’ait touché personne. « Des coups de feu éclatent de part et d’autre », selon M. Benoît Haderbusch.

« Qui, de la policie ou des manifestants a tiré le premier ? Avant l’indépendance, les nationalistes imputaient les premiers tirs à la police. Après 1962, les témoignages sont venus nuancer leurs affirmations ». Selon Mohamed Harbi.

« Saal Bouzid (scout musulman) porteur du drapeau algérien était protégé par plus de trente hommes choisis parmi les plus solides et lorsque les policiers ont voulu lui enlever son emblème, la bagarre a éclaté ». (d’après B. Mekhaled chroniques d’un massacre – Ed Syros – 1995

« Des coups de poings sont échangés, des coups de feu éclatent. Des tirs d’armes à feu sont entendus entre les manifestants et la police, les policiers qui attendaient dans la voiture sortent et tirent d’abord de courtes rafales en l’air, puis dans les jambes des manifestants qui s’enfuient... ».

Deux premières victimes sont à déplorer -

1/ Une petite fille de 8 ans, Arlette Nakache « tuée devant le café de France où elle passait à ce moment là avec ses parents ».

2/ Le jeune scout Saal Bouzid, le porte-drapeau « qui est amené mourant au cabinet du docteur Smati à 300 m de là avant d’être transporté à l’hôpital où il décède avant toute intervention médicale ».

Larbi Tricenti1 appelle au Djihad. La chasse aux Européens est ouverte aux cris de «  n’katlou Enessara » - (Tuez les chrétiens).

D’autres morts sont à déplorer comme M. Vaillant « ancien président du tribunal de Sétif, devenu avocat ». Il est abattu rue Valée.

Le maréchal des logis chef Antoine Raynal est roué de coups et poignardé alors qu’il se portait au secours d’une femme agressée. « Il décède à l’hôpital militaire où il est transporté ».

La liste s’allonge.

Chez les Européens : cette manifestation violente verra un premier bilan de : 23 morts et 47 blessés graves « certains décéderont de leurs blessures », les blessés plus légers n’ont pas été comptabilisés car dispatchés dans diverses cliniques ou cabinets médicaux où ils ont été pris en charge.

Chez les Musulmans, l’on déplore 4 morts. Mais le nombre de leurs blessés n’est pas connu, ils n’ont pas été comptabilisés. (Eugène Vallet « Un drame algérien » - Les Grandes Editions françaises, Paris, 1949.

Dans son ouvrage, « 8 mai 1945, en Algérie  », Redouane Aïna-Tabet écrit : « La folie meurtrière propre aux foules en délire entre en action ».

Des témoins racontent :

« Les armes sortent des burnous et des gandouras. Tout sert de projectiles, les tables des terrasses des cafés, les chaises, les carafes, les verres. Les manifestants courent dans toutes les rues. Les assaillants sont armés de bâtons, de gourdins, de lames de rasoir, de hachoirs, de faucilles, de haches, de grosses pierres, d’armes à feu. Les victimes sont assassinées avec une sauvagerie indescriptible. »

M. Villard apporte certaines précisions.

- Les manifestants étaient armés.

- Mr Emile Dussaix assassiné par arme à feu dans les minutes qui ont suivi les premières échauffourées, à 150 mètres du Café de France, au numéro 4 de la rue du Cardinal Lavigerie par un manifestant qui, arrêté, jugé, condamné, a reconnu les faits.

- Mr. Deluca, tué d’une balle dans le ventre. (Président de la Délégation Spéciale de la Ville, maire par interim remplaçant de M. Masselot). Il est amené agonisant à l’hôpital où il décède. Le Sous-Préfet n’avait pas jugé utile de le prévenir de son autorisation de la manifestation.

- Selon une première version, des groupes de 200 manifestants dont l’effervescence n’est pas redescendue, tentent d’investir le commissariat central.

- Deuxième version, assez surprenante : Selon le rapport Tubert, il s’agirait de « manifestants apeurés qui ont tenté de trouver refuge au commissariat (P. 11 du rapport).

La gendarmerie et l’armée interviennent.

Les blessés graves sont transportés vers les hôpitaux civil et militaire.

9 h 30 – Rue Lavigerie, Mr. Albert Denier « ancien combattant de la première guerre mondiale, inspecteur des PTT, secrétaire de la cellule PC de Sétif, a les deux avant-bras amputés, les pavillons des oreilles coupés et a été blessé au thorax par les émeutiers. »

Les assaillants le jettent à terre, Mr Denier les implore : « Ne me faites aucun mal, je suis avec vous, je vous défends ».

Un assaillant lui répond : « Nous sommes des musulmans, nous allons te faire une fleur, et te laisser la vie ».

Le Docteur Engel qui a pris en charge Mr Denier, donne un diagnostic détaillé de ses blessures.

« Outre les dommages causés aux avant-bas, dont les os broyés avaient nécessité l’amputation des deux avant-bras, Mr Denier portait sur la tête des traces de seize coups d’objets tranchants et longs, un de ces coups ayant coupé le pavillon de l’oreille en deux, une blessure par arme blanche ayant entamé la plèvre et perforé le poumon, trois blessures par armes à hauteur des reins et une trace sur la marque d’une blessure par arme à feu ».

Mr Denier déclarera à un ami : « Je leur pardonne, car ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient ». Mais les propos prêtés à Mr Denier, quant au pardon à ses tortionnaires, dans un entretien avec M. Villard « sont démentis par son fils... ».

Kateb Yacine participait à la manifestation. Il relate un autre fait dramatique : « Un paysan tranche d’un coup de sabre l’épaule d’un étudiant sans coiffure qu’il a pris pour un Européen.

Sabri Seghbi sonne le clairon. 3000 à 4000 manifestants s’apprêtent à déposer la gerbe aux monuments aux morts, au mileu des appels au djihad  : « El djihad fi sabil Allah » (d’après Boucif Medhaled - « chroniques d’un massacre ».

L’émeute prend de l’ampleur. Pour les manifestants, l’action des policiers de vouloir enlever les drapeaux algériens, il s’agit d’une provocation. Pour eux, les autorités veulent « l’épreuve de force ». Ce que les autorités réfutent. Car, d’une part, les manifestants sont venus armés et munis de drapeaux interdits.

« L’ordre avait été donné d’empêcher jusqu’à la mort la saisie du drapeau algérien par l’ennemi », selon le témoignage de Mr Ziyad Tayeb.

La réfutation des autorités tient debout, car elle ont maintenu les gendarmes dans leurs casernes, loin de la manifestation.

Le 8 mai, le colonel Bourdilla met aux arrêts le Sous-Préfet, considérant que « sa responsabilité est engagée ».

Le Sous-Préfet est décrit comme un homme « sans expérience des responsabilités confiées... ».

Ferhat Abbas expliquera, dans ses écrits que « parmi les premières victimes européennes, il y eut des amis respectés de tous les indigènes et dont l’agression et le meurtre on soulevé l’indignation des militants, des responsables et des témoins ».

Sétif résonne « des cris et des imprécations des émeutiers, des supplications et des hurlements des victimes, des claquements des armes à feu et de quelques rafales de mitraillettes. » - (p. 59)

Description de la ville de Sétif après que le calme soit revenu suite à l’intervention de l’armée.

Le colonel Bourdilla, les commandants Rouire, Mazzuco, Biraben, Bobillon, les capitaines Siraud, Simonpiéri, le lieutenant Zekowitz et Boissenot, la gendarmerie mobile, Adjudant Bois, Adjudant Chef Pasquier, 13 gendarmes et 4 douaires,

constatent des blessés dans les rues et des morts gisant sur les trottoirs.

La rue Clémenceau est jonchée de « tables, chaises, fauteuils… grilles de protection des arbres, des morceaux de verre, des chaussures abandonnées, des vêtements.. »

L’armée agit avec célérité (sans même avoir tiré un seul coup de feu). Le chef du détachement fait évacuer les rues principales du centre-ville et arrête tout individu portant armes, bannière ou passant pour séditieux ».

La compagnie est envoyée à 9 h 45 avec mission de protéger les bâtiments administratifs et officiels : S/Préfecture, Poste, Hôtel de Ville.

Le commissariat central de police est assiégé par une centaine de manifestants, l’armée les disperse.

11 heures. La 3eme compagnie fait évacuer le marché à bestiaux. Des milliers de manifestants s’y sont rendus. L’armée repousse la foule à coups de crosse – sans tirer un seul coup de feu – car « ordre formel a été donné (par l’autorité militaire), de ne faire usage des armes qu’en cas de légitime défense ".

5 cadavres d’Européens mutilés sont découverts.

Particulièrement disciplinés et efficaces, les tirailleurs – en majorité musulmans – avec sang froid évacuent le marché à bestiaux et mènent à terme leur mission

Le calme est rétabli, l’armée reprend le contrôle. Mais sur la ville règne une atmosphère très lourde.

Mr. Mustapha Smati, pharmacien, témoigne qu’il a « secouru Mr. Denier, l’a amené à l’hôpital militaire. Il ne parle pas des blessés musulmans et accuse les militants du PPA qui sont pour lui des extrémistes, d’être responsables des méfaits ».

15 heures. La ville de Sétif est interdite d’accès.

Le couvre-feu est décrété pendant 2 jours.

Bilan.

Nombre de tués :

35 morts musulmans (archives de l’hôpital de Sétif).

28 morts européens.

42 blessés graves.

.../...

 

1Larbi Tricenti : nom de maquis.


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