Après la démocratie nihiliste : le temps des corporatismes ?
Comme cela était assez prévisible, les législatives anticipées voulues par E Macron n’ont rien clarifié du tout et accouchent d’une Assemblée inédite sous la 5e République (illustration tirée du Figaro du 22 juillet 2024)
La précédente était déjà instable et passablement abîmée depuis 2 ans, cela était même l’un des motifs ayant officiellement motivé la dissolution1.
La nouvelle lui ressemble beaucoup mais avec des proportions qui changent puisqu’elle se partage en 3 tiers qui se neutralisent mutuellement et correspondent indiscutablement aux polarisations de l’opinion publique :
« anti RN », « anti Macron », « anti Mélenchon ». Mais pas pour autant pour un retour à l’« UMPS ».
Le rassemblement disparate d’autonomistes corses, d’indépendantistes antillais, de socialistes en rupture et de radicaux de droite baptisé LIOT se porte bien, merci pour lui, mais il est pour le moins douteux que ce type de rassemblement plus opportuniste qu’autre chose soit une solution pour gouverner le pays comme le prétendait son ancien président Bertrand Pancher.
Le pouvoir politique en France, en ce mois de juillet 2024 est donc en miette, avec un président démonétisé qui vient de perdre trois élections depuis 2022 et une Assemblée nationale qui, sauf miracle, ne vaudra plus rien.
Et dans l’Histoire, que se passe-t-il lorsque le pouvoir politique est faible ?
La nature ayant horreur du vide, ce sont les lobbys et les corporations qui prennent le pouvoir, surtout ceux qui s’imaginent les dépositaires de l’intérêt général.
Sauf que tous les corporatismes ne pensent par définition qu’à défendre leurs intérêts les plus étroits et que la somme des intérêts particuliers n’équivaut pas à l’intérêt général, sauf hasard.
L’épisode qui a eu lieu en juillet 2023 avec l’une des plus emblématiques des corporations, la police nationale, ne fait sans doute qu’annoncer les prochains mois.
À l’origine, un enième refus d’obtempérer d’un mineur conduisant sans permis, et la bavure peu contestable d’un policier penché à l’intérieur d’une voiture, arme au poing, qui tue net le conducteur.
Si la première partie des événements a pu sembler « sous contrôle » la seconde, courant juillet, a démontré qu’il n’en était rien et que la Grande Maison était au bord d’une « Journée des barricades ». Sans aucun avenir, ça va de soi.
On sait que Nicolas Sarkozy, puis son clone Gérald Darmanain ont utilisé leur passage au Ministère de l’Intérieur pour se faire une popularité en « Alliance » avec le syndicat policier éponyme. On sait aussi la situation explosive dans les banlieues abonnées à la délinquance et aux émeutes urbaines.
On sait enfin la « sur-utilisation » des forces de police dans un rôle de « médiateurs » entre des gouvernements qui paraissent coupés du pays et des manifestants de plus en plus vindicatifs, une tendance déjà observée avant la période Macron mais qui s’est considérablement accentuée depuis (manifestations hebdomadaires et sauvages de gilets jaunes, réforme des retraites, soulèvements écologistes...)
La première phase de l’épisode est donc restée relativement mesurée, au niveau de la corporation flicarde, même s’il est peu douteux que les molles dénégations syndicales habituelles ont probablement, encore une fois, considérablement contribué à enflammer la situation.
Tout juste a-t-on pu noter quelques grognements devant ces politiciens lâcheurs qui ne soutiennent pas leurs troupes... malgré les évidences. Les commentateurs de la droite zémourienne étaient évidemment les premiers à rappeler que le permis de tirer dans le tas, pompeusement appelé « présomption de légitime défense », était au programme de leur champion, déterminé à tout donner à une corporation déjà acquise.
Le pouvoir politique s’est même payé le luxe de lancer la dissolution d’un petit syndicat de la maison, France Police, qui manœuvre entre plusieurs eaux, à l’origine sympathisant du parti lepeniste, puis soutient « de l’intérieur »des manif hebdomadaires de gilets jaunes, après des propos pour le moins zémouriens2.
La deuxième phase de l’épisode a, en revanche, montré que le roi, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur et l’exécutif, était nu.
Lorsqu’à Marseille une seconde affaire de violence policière survient et que trois policiers font l’objet d’une incarcération préventive3 , les fourches se sont levées :
protestations syndicales outrées de ce traitement judiciaire « discriminatoire », grève sous forme d’arrêts maladie massifs, code « 562 » .
Jusqu’au directeur de la police nationale Frédéric Veau qui a exigé la libération des 3 policiers et, dans une intervention aussi hypocrite que pathétique a indiqué « qu’il n’en dor[mai]t plus la nuit » [NB : de l’incarcération des 4 policiers !]4…
Silence absolu du Ministre de la Justice, regards fuyants du Ministre de l’Intérieur. Même la dissolution de France Police n’était en somme qu’un acte de fausse autorité, puisqu’il se trouve qu’Alliance a dit plus ou moins la même chose 5, et que rien ne s’est passé : on ne traite pas de la même manière un syndicat à 3 % des voix aux élections professionnelles et un syndicat à 45 % des voix aux élections professionnelles, avec lequel on a pactisé de longue date.
On comprend parfaitement l’énervement de la police face à des délinquants qui les narguent et refusent d’obéir, mais quel rôle auraient des forces de l’ordre en roue libre, qui refuseraient d’obtempérer à la première décision de justice qui leur déplait ? Car, malgré les dénégations sur l’air de « nous ne réclamons pas l’impunité », le mouvement contre l’incarcération (temporaire !) des 3 policiers marseillais visait quoi, sinon l’impunité ?
La police n’est pas un corps autonome seul à même de savoir ce qui est bon ou non et elle ne peut que travailler avec la justice. Si les lois sont mauvaises, il faut les changer et c’est aux politiques de le faire.
De la même manière que la corporation des médecins n’est pas fondée à demander un doublement de ses tarifs de remboursement sans tenir compte des modalités de financement, ou que les agriculteurs ne sont pas non plus fondés à exiger un droit à polluer sans entrave.
Un pouvoir politique affaibli comme celui que nous avons eu depuis 2022 s’est montré incapable de rappeler ces évidences et a passé son temps à courir derrière les incendies allumés par lesdits corporatismes, qui ont des relais d’influence au plus haut niveau.
La faiblesse née de la dissolution étant encore plus prononcée, les revendications égoïstes ne pourront que s’accentuer. Jusqu’à la chute terminale ?
1Voir Macron s’explique, Le Figaro magazine 14 juin 2024
2Dissolution engagée après un touit du syndicat « félicitant les collègues ayant ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans [...] »
3Voir https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/policier-ecroute-a-marseille-on-vous-resume-en-6-actes-la-mise-en-examen-des-fonctionnaires-de-la-bac-2816057.html
4Voir https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/policier-ecroue-a-marseille-on-vous-explique-pourquoi-les-propos-du-patron-de-la-police-suscitent-l-indignation-2816480.html
5Entre féliciter l’auteur du tir et tenir des propos menaçants tout en parlant des « nuisibles » on se demande qui est le plus extrémiste ; voir tract joint
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