Le maître queux…
Retour de flamme
Habillé de blanc, la toque sur la tête, le maître queux a toujours couru après son étoile, non celle d’un guide quelconque accompagné du Bibendum gastronome, mais celle qui brillait jadis dans les yeux de ses clients satisfaits, repus et enchantés. Il a toujours eu la vocation et s’est mis très tôt derrière le piano, à faire inlassablement ses gammes avant que d’aller sur les chemins de l’improvisation.
Il avait auparavant lentement, scrupuleusement, méticuleusement intégré tout l’héritage des anciens, la cuisine des mères, les apports des grands chefs étoilés, l’héritage des autres cultures. Il avait suivi un apprentissage qui avait fait de lui un petit marmiton, taillable et corvéable à merci, acceptant de se plier à la discipline de fer d’une brigade. Il avait ainsi essuyé avec succès le coup de feu, avait appris à se fondre dans une équipe, à se plier aux injonctions d’un chef qui ne supporte aucun débordement ni le plus petit écart.
Récompensé par un diplôme, il avait poursuivi sa formation, se mettant au service de patrons qui ont de la bouteille et une clientèle. Il se pliait aux exigences du bonhomme, suivait à la lettre ses recettes tout en rangeant dans un petit coin de sa cervelle, les aménagements, variations et innovations qu’il comptait bien y introduire. Mettre son grain de sel, pimenter sa cuisine, lui donner couleurs et saveurs nouvelles tout en se jouant des formes et des volumes : tout cela trottait dans son esprit.
Il avait alors un petit calot sur la tête et encore tous ses cheveux. Il ignorait que le jour où il accéderait à la grande toque de chef, il se ferait tant de cheveux que ses années de formation ne seraient plus qu’un lointain souvenir. Un jour, un effet, il franchit le pas, se lança dans l’aventure, mit les petits plats dans les grands et ouvrit son propre établissement.
L’aventure fut périlleuse, les banques n’ont guère d’appétit, les dépenses s’accumulent. Il faut avoir les reins solides pour ouvrir un Restaurant, monter une carte qui ne soit pas faite de produits congelés et tous faits comme le font ces gargotes qui marchent. Lui, voulait satisfaire les gourmets, jouer de la grande tradition française, mettre en musique des produits frais et locaux. Il avait de l’ambition à revendre et de l’estomac.
Les premiers temps furent compliqués. Il fallut faire sa place au soleil, attirer une clientèle qui souvent manque de curiosité pour les petits nouveaux. Il fallut manger de la vache enragée tout en ne cédant jamais sur la qualité des produits. Il tenait le cap, voyait avec plaisir les premiers frétillements, l’arrivée de nouvelles têtes. Parfois il lui fallait même refuser du monde. L’avenir s’annonçait radieux quand soudain, le ciel lui tomba sur la tête et écrasa sa toque et ses espoirs.
Son métier fut déclaré ennemi public, vecteur de pandémie, propagateur d’un virus mortel. Bien qu’il ait suivi à la lettre les mesures de distanciation, effectué de nouvelles dépenses pour satisfaire aux caprices d’un pouvoir incohérent, la mayonnaise retomba d’un coup quand son établissement fut fermé comme tous ceux de ses confrères. Plus de rentrées, plus ce bonheur fou de se mettre aux fourneaux avant que de rendre une petite visite en salle aux clients en fin de repas.
Les banquiers, pendant ce temps, avaient toujours cette avidité qui caractérise ce métier longtemps interdit par l’église. Ils n’eurent aucune pitié, exigeaient leur dû, se fichant des mesures gouvernementales. Le maître queux était pris à la gorge, acculé dans ses retranchements, sommé de payer ou de vendre son affaire. La banque, bonne fille, était prête à la racheter à vil prix, l’argent n’a pas cette douce odeur de revenez-y même dans une cuisine.
Le maître queux perdit la tête ou plus exactement la glissa dans une corde, une de celles qui se refusent à joindre les deux bouts. Le nœud fut à l’image de ce restaurant qui coulait à pic, et tout comme le banquier, il étrangla celui qui voulait donner du bonheur aux autres. Le Méprisant de la République se fendit d’un petit message de condoléances sur un réseau social avant que de passer à table en compagnie d’invités prestigieux. Un banquet durant lequel, il n’eut aucune indigestion, merci pour lui.
Qu’importe les dégâts collatéraux, la vie doit continuer son chemin et la Politique est l’art de faire des omelettes en cassant beaucoup d’eux, les petits, les humbles, les sans dents, les jaunes, les pauvres. Le même jour, un artiste sautait dans le vide pour une ultime représentation. Rassurez-vous, pour ceux qui détiennent les cordons de la bourse, tout va bien, merci pour eux. Ils croquent la vie des autres à pleines dents.
Manichéennement leur.
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