Ce n’est qu’une question de niveau
Géométrie de l'absurde
Le niveau est au cœur des préoccupations de l'époque. Qu'importe sa nature du reste, il se mesure en toutes circonstances afin d'en examiner les variations, les humeurs, les mouvements plus ou moins erratiques. La courbe de ses fluctuations s'affiche, s'expose même quand il s'agit d'une rivière aux colères soudaines, se dissimule dès lors qu'il est question de l’efficience scolaire de nos rejetons.
La question du niveau est tellement essentielle que bon nombre de collégiens et de lycéens l'ont prise au pied de la lettre en se faisant fort de retourner aux fondamentaux de son identification. N'hésitant nullement à mettre la main à la pâte et contrairement aux idées reçues, ils se retroussent les manches pour examiner à la loupe le plus sûr des indicateurs, celui qui permet à toute une classe d'âge de finir avec un diplôme en bois.
Ne désirant nullement s'inscrire dans une logique de progression, réfutant l'idéologie de la croissance à l'infini, du progrès perpétuel, de l'élévation toujours plus haute des élites de la nation, la jeunesse dans son extrême sagesse, entend modérer cette course folle vers l'abîme. Le niveau pour eux n'est plus guère qu'une ligne d'horizon qui se contente aimablement de tenir la ligne horizontale, la ligne de crête en somme.
Il est vrai que cette génération de l'écran plat ne compte pas sauter au plafond pour satisfaire à la compétition. Le fil à plomb est définitivement rangé dans le musée des objets obsolètes tandis que la corde à nœuds et sa pythagoricienne pratique ne permet plus que de dresser des murs d'incompréhension entre les générations. S'ils avaient un tant soit peu besoin de vérifier le niveau, c'est au rayon laser qu'il ferait appel.
Mais pourquoi diantre se décarcasser pour contrôler une notion qui n'a plus de sens. Nul d'ailleurs n'a changé songé à orienter la ligne d'horizon et si elle est bouchée, c'est de part et d'autres d'une ligne de front dissimulée sous la visière de la casquette. Il convient de rester terre à terre et de ne surtout pas bâtir des châteaux en Espagne ou bien ailleurs.
C'est pourtant avec une joie non dissimulée qu'ils ont découvert le niveau à bulle. Cet objet leur a immédiatement plu dans sa simplicité et sa volonté de retourner aux sources de toute connaissance. L'écologie devenant une préoccupation de chaque instant pourvu que ce ne fut que purement rhétorique et jamais dans les actes, la fameuse petite bulle d'air incarcérée dans sa lucarne avait de quoi les enchanter.
Ne prenant en aucune manière conseil auprès de leurs aînés, ces individus qui ne comprennent plus rien à rien, ces êtres dépassés promis à la nécessaire et urgente loi sur la fin de vie, ils se sont mis en tête de mettre pour une fois en accord leur projet de vie et l'exigence institutionnelle.
Les enquêtes Pisa ne sont pas fameuses, ils vont prendre le problème à bras le corps et fort de cette merveille de la technologie constructive, ils vont prendre au mot tous les experts du ministère de l'éducation nationale. Nos chères têtes qu'elles fussent blondes, brunes, crépues ou bien colorées se déclarent en chœur toutes adeptes de la remise à niveau.
Oubliées les années perdues, les connaissances égarées en chemin, les lacunes dans les connaissances de base, le vide sidéral en matière de culture générale et de maîtrise lexicale, la révolution pédagogique est en marche. À l'instar des admirables rois mérovingiens ayant succédé à Dagobert, ils ne vont pas se mettre la tête à l'envers mais tout simplement se contenter de coincer la bulle de ce fabuleux niveau.
Il ne fallait pas les mettre au défi. Comme toujours, ils ont tout compris et n'ont pas besoin de nos conseils. Ainsi coincée, la bulle aura de bonnes raisons de démontrer que le niveau baisse. C'est bien ce qu'il fallait démontrer !
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