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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Réflexions inspirées par « Le Maître-Nageur »

Réflexions inspirées par « Le Maître-Nageur »

"Je pense que les femmes sont beaucoup plus fortes que les hommes, et que ce sont elles qui mènent le monde, ce sont elles qui nous gouvernent..." (Jean-Louis Trintignant)

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J’en suis déjà à mon troisième visionnage du deuxième et dernier film de Jean-Louis Trintignant depuis juin 2022, quand le décès de l’acteur me permit d’apprendre qu’il avait réalisé deux œuvres dans les années 70. « Le Maître-Nageur » est sorti au cinéma le mercredi 28 mars 1979 ; les rôles principaux sont tenus par Stefania Sandrelli, Guy Marchand, Jean-Claude Brialy et Moustache. C’est l’histoire d’une femme dont les rêves sont prémonitoires, qui tombe amoureuse d’un homme qui ne sait chanter qu’une seule et même rengaine (« On s’reverra… », au ton très proche de sa sœur grand-bretonne « We’ll meet again ») et qui est fascinée par la richesse. Cet homme, qu’elle a élu comme son compagnon, devient maître-nageur chez un milliardaire excentrique, son valet tout aussi farfelu l’ayant soumis à un entretien d’embauche d’une logique impitoyable. C’est l’histoire d’une piscine construite pour qu’on n’y nage pas, pour qu’on ne s’y amuse pas. Seulement pour que son propriétaire s’en amuse. C’est l’histoire d’une damnation à deux, de rêves mal interprétés ou oubliés, de perte de soi, de pauvreté en soi, de destruction d’un couple qui a tout pour être heureux. Quelque chose de ce film m’obsède et me trouble profondément.

Le rythme à l’écran est souvent lent, d’une beauté raide. Le style général peut rappeler la dernière période française de Luis Buñuel. Il y a beaucoup d’humour à froid, pour ne pas dire à sec, la métaphore serait ici inappropriée. Des extraits de Verdi nimbent les images d’une mélancolie ironique, sourdement morbide. Tout se décrépit insensiblement, l’amour se rencontre et ne s’étiole pas, mais s’effondre en une seule épreuve, un cauchemar terrible, un marathon insensé pour un prix dérisoire que l’organisateur peut amplement se permettre de dispenser à des compétiteurs bien moins pourvus que lui. Et la femme de soutenir son champion et de réaliser son dernier rêve…

Difficile de ne pas en raconter plus sans gâcher le film aux personnes qui ne l’ont pas vu, je vais donc m’arrêter là (pour le moment) et traiter d’un thème que Trintignant décrit comme essentiel à son œuvre : l’impalpable domination de l’homme par la femme.

Celle-ci est induite par le patriarcat depuis l’âge romain, lequel fait suite à la sédentarisation, à l’édification de la maison familiale et à la création de la ville comme pôles institués de l’activité humaine. Plus largement, à l’importance prise par la construction de bâtiments toujours plus équipés et sécurisants. Ces cocons ont poussé de partout sur la Terre-Mère. Des répliques d’utérus nourriciers, où règnent luxe, calme et volupté. Beaucoup d’ordre aussi, et très peu de beauté. Je crois bien qu’il n’y a rien de plus affreux que l’intérieur d’un hôpital.

Le vrai pouvoir n’appartient jamais au groupe qui le détient dans les lois et dans les coutumes, au groupe qui les écrit ou les transmet. Sous l’oligarchie, c’est le pauvre qui tient le riche entre ses serres. Parce que le pauvre veut son filet de sécurité, le riche le lui octroie. Et lorsque les hommes prennent toute la place dans les arts et métiers, au Parlement, sur le trône, partout où les décisions se prennent, ils doivent composer avec l’autre moitié de l’humanité, et c’est elle qui impose sa volonté. Il faut l’apaiser, il faut la payer, il faut lui donner ce qu’elle veut. Imperceptiblement, les puissants travaillent pour elle.

Je pense que tout le confort dont on dispose aujourd’hui, on le doit à la volonté cultivée des hommes de protéger les femmes, de leur procurer l’environnement le plus sain possible pour la reproduction et pour l’éducation des enfants. Et je pense que cette pression hygiéniste pour la blancheur des choses, elle vient des femmes. Les hommes aiment la saleté, ils vénèrent même la crasse, s’y réjouissent, les femmes n’en veulent pas parce que ça les met en danger pour l’accouchement. Les hommes ont dû changer pour leur plaire, à une époque où le seul pouvoir qui ne pouvait pas être retiré aux femmes était de leur donner des orgasmes et des descendants. Ça se lit jusque dans la poésie d’un Ronsard, dans cet épurement de l’amour courtois, cette civilisation du mâle respectant la femelle jusque dans ses actes de prédation sexuelle. Et cette obsession du sanitaire s’étend ensuite à d’autres domaines de la vie dans lesquels il n’est pas nécessaire qu’elle s’applique. Toute la marche moderne du monde, le technologique qui tend vers la stérilisation de tout milieu et le contrôle continu de tous les mouvements, tout cela procède de cette nécessité de protéger la femme afin que l’enfant naisse dans de bonnes conditions. L’homme, qui ne comprend que trop bien le besoin de rester en vie de la femme, lui construit ce cocon qui lui permettra de mettre bas sans risque. Puis d’élever les enfants sans risque. Et par là, il en vient à vouloir nier la mort, s’en remet à la pensée que le confort l’empêche de décliner, et se complaît dans la sécheresse qu’il a provoquée pour tuer toute bactérie, pour ne rien laisser vivre qui puisse les menacer, lui, la femme et l’enfant. Cette paranoïa ne pouvait naître qu’en Occident, là où les conditions sont les plus propices au développement de l’espèce, là où tout est le plus tempéré. Dans les endroits difficiles, en Afrique par exemple, on est habitués à ne pas se battre contre ce qui n’est pas dangereux et à laisser vivre un grand nombre de nuisibles. Après tout, c’est là-bas que l’on naît le plus.

Il est notoire que le consumérisme du 20ème siècle a essaimé avec l’électrification du cocon domestique, commençant par le fer à repasser et se poursuivant par tout ce qui pouvait faciliter la tâche de la femme représentée comme fée en charge du logis, stéréotype asphyxiant qui hâtera le combat politique et les jets de pavés en plein air afin que ces dames puissent elles aussi courir s’enfermer dans les usines et les bureaux comme leurs conjoints. Cela a achevé ce puissant mouvement de course entamé par les hommes pour courtiser les femmes, sécuriser les foyers, parfaire les enfants, course au savoir, course à l’industrie, ruée vers l’or (or : matière rare et précieuse qui n’est d’aucune aide quand on veut se régaler d’une tartiflette). Maintenant que les femmes sont pleinement intégrées dans le système, il est à nu. Les luttes entre sexes n’ont plus de poids. L’argent seul fait la loi. Les hommes et les femmes peuvent s’ignorer, mais le riche n’a aucun intérêt à oublier le pauvre. Sans lui, il n’a aucun repère.

Toutes ces pensées sont foutrement injustes, absolument inexactes et portent atteinte au film qui les a engagées, ou plutôt faites ressortir. Je me fais souvent des aveux honteux, et plus honteux encore, je m’en veux de ne pas parvenir à les trahir. L’importance de tout ça, je la cherche encore, je voudrais ne pas la trouver.

Il est plus correct de dire que dans « Le Maître-Nageur », Marie, incarnée avec une candeur sublime par Stefania Sandrelli, obtient ce qu’elle veut par sa simple présence, tout comme ses rêves peuvent orienter les désirs des hommes par leur simple apparition. Elle ne sait pas sa cruauté, elle ne la soupçonne même pas. Elle est à égalité avec ce milliardaire moustachu qui organise des défis pour les autres, n’en ayant plus pour lui-même. Elle finit comme lui, au tombeau, et plus vite encore parce qu’elle est affaiblie par le récit même de sa vie, qu’un serviteur malhonnête a filmé pour elle. Elle est peut-être là, cette tristesse du film qui me poigne et me tourmente. L’indifférenciation entre le récit et la vie, entre le rêve et la réalité, qu’y a-t-il de plus chagrin ?

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8 réactions à cet article    


  • Laconique Laconique 13 mars 2023 09:19

    Pour René Descartes et Jean-Paul Sartre, la liberté n’est pas un postulat métaphysique, mais un fait fondé sur l’expérience intime.


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 13 mars 2023 19:41

      @Laconique

      On se sent libre plutôt qu’on ne l’est, c’est acquis.


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 14 mars 2023 18:41

      Je tiens à remercier les moinseurs et les votants sous l’article, ils ont fini par me convaincre que mes réflexions n’avaient pas leur place ici. A une prochaine fois, peut-être...


    • Pauline pas Bismutée 14 mars 2023 19:01

      @Nicolas Cavaliere

      Bonjour

      Je viens de voir passer votre post (n’ai pas lu l’article, non par manque d’intérêt, mais par manque de temps)

      Ne vous laissez pas impressionner par les moinsseurs (et croyez-le ou pas, il y a pire, les injures, menaces, bref..), beaucoup ne savent sans doute même pas lire.

      Dites quand même ce que vous avez à dire, les articles ici passent très vite, et ici comme ailleurs, ce sont les prises de bec qui ont l’air de faire recette.

      Ne vous découragez pas si vite !

       smiley


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 17 mars 2023 17:01

      @Pauline pas Bismutée

      Contemplez le vote sur votre réponse pourtant positive, et vous comprendrez pourquoi j’ai grand besoin de prendre un brin de recul. Quant au vote sur l’article lui-même, le pire, c’est qu’il est évident que beaucoup n’ont pas vu le film dont il y est question et viennent juste déverser leur aigreur pour se défouler. Ils se foutent bien du fait que j’ai surtout essayé, comme dans l’article précédent sur le cinéma de Peretjatko, de rendre quelque chose de l’esprit de l’œuvre. L’Internet a fini par supprimer toute courtoisie dans les échanges après avoir élagué toute nuance dans les points de vue, ce ne sont pas des commentateurs Facebook ou Twitter qui auront les capacités demain d’écrire une nouvelle constitution pour la pays si jamais il venait à s’écrouler, et j’écris ça en me reconnaissant moi-même incapable de longues analyses, favorisant bien trop clairement la forme courte et la synthèse. Mais au fond, ce n’est pas du tout l’enjeu. Les capacités n’intéressent personne, le pouvoir seul est désiré.


    • Pauline pas Bismutée 17 mars 2023 18:06

      @Nicolas Cavaliere

      Ça fait un moment que les votes me font sourire, les ’moinsseurs pavloviens’ doivent avoir une vie bien triste, c’est pour ça qu’au fond je les aime bien.
      Mais je comprends tout a fait votre besoin de recul (je suis moi même partie et revenue, plutôt par hasard d’ailleurs)
      Oui la vraie vie est ailleurs, et l’anonymat derrière un clavier encourage les imbéciles a y déverser leurs aigreurs, frustrations, lâchetés... ce ne sont pas des gens que j’aimerais avoir comme connaissances dans le « réel » (je choisis avec soin et élimine un bon paquet d’abrutis) mais ils existent bien quelque part, même derrière leurs mensonges, même si ce ne sont que des trolls ici....
      Oui, petites gens, pour petit pouvoir dans Agoravox....comme une arène de cirque, avec les clowns qui se prennent les pieds aux mêmes endroits du tapis...ça me fait encore sourire, mais effectivement, si le pays s’écroule..
      C’est bien pour ça que j’observe, de loin.
      Faites attention a vous (et entourez vous d’animaux et/ou de gens sympas)

       smiley

    • Areole Areole 13 mars 2023 10:21

      « Les femmes mènent le monde, c’est elles qui nous gouvernent... »

      Cette évidence nous crèverait-elle les yeux au point de ne rien voir du génocide des mâles qu’évitent nos compagnes avec toute l’élégance qu’on leur connait.

      Petite liste des privilèges masculins : 

      — 75% des suicides mondiaux (Lituanie 8 hommes se suicident pour une femme),

       représentent 80% des morts violentes,

      vivent 6 ans de moins que les femmes

       ne représentent que 10% des pensionnées de reversion,

       ont le monopole des morts de guerre (les hommes nés en 1894 avaient moins d’une chance sur 2 d’être en vie en 1918), 

       ne représentent qu’un tiers des soins médicaux des femmes,

       ne représentent que 10 % des prostitués tous sexes confondus, quid du comportement des femmes ordinaires, en temps de guerre, dans les zone occupées par l’ennemi ?...

      La survie est un art où excellent nos compagnes, et qui s’exerce toujours au détriment de la vertu.


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