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Quand Malraux a invité Chagall chez Garnier…

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… Napoléon III a dû faire des bonds à Farnborough, en voyant l'immense salle de son opéra badigeonnée de dessins multicolores par le bon vouloir d'un ministre de la République. 

Avait-il été victime lors de sa visite de Londres du syndrome de Louis XIV qui, émerveillé et humilié par le château de son ministre à Vaux-le-Vicomte, décidera Versailles ? Quoi qu'il en soit il révolutionnera sa capitale avec son architecte Haussmann qui mettra de côté l’austérité de ses origines protestantes pour satisfaire l'empereur, sa capitale, et la France qui ne lésinera pas. Avec prodigalité et magnificence elle s’offrira l’Opéra de Garnier qui nous intéresse ici.

A propos de son classicisme mélangé qui interrogeait l’impératrice quant à son style, l’architecte répliquera « c’est du Napoléon III ». Un baroque exubérant pour flatter les sentiments d’un empereur puissant à la tête d’une France qui l’était.

L’approche de l’édifice et les premiers pas qui conduisent au pied de l’escalier monumental orné d'élégantes corbeilles à curieux, révèlent une explosion de productions artistiques qui se confirme en tous points de l’édifice. Matériaux rares et trompe-l’œil concourent à l’impression d’ensemble.

On aurait pu s’en contenter.

Mais prétextant un théâtre triste un ministre a décidé une modification qui provoquera des réactions qu’il n’attendait pas. Il s’agit du plafond original de la salle d’opéra peint par Jules Lenepveu que Charles Garnier pensionnaire comme lui à la villa Médicis lui avait confié

L’œuvre originale sur cuivre de 1872 "Les muses et les heures du jour et de la nuit" de Jules-Eugène Lenepveu sera détrônée par celle de Chagall qui vieillissant, a dû faire appel à trois peintres assistants pour sa nouvelle commande

 

A gauche la fresque de Lenepveu.

 

Salle de l’opéra vers 1930

Dès sa présentation en 1964, l’œuvre de Chagall en décalage complet avec l’unité artistique de l’ensemble Second Empire, sera décriée. Si une couleur s’harmonise avec ses nuances, avec d’autres mal choisies elle peut choquer, les stylistes et les décorateurs parlent alors de faute de goût. Au Palais Garnier, Malraux en commettra une avec une erreur stylistique et esthétique, l'harmonie de la salle de l'opéra qu'on apprécie ou non, sera affectée.

Le plafond de Chagall heurte non pas pour ce qu’il est, chacun l’appréciant intrinsèquement ou pas avec ses couleurs vives au rendu plutôt psychédélique, mais en ce qu’il tranche dans un écrin artistique Second Empire qui ne l’attendait pas. Il dénote et choque.

Cette provocation voulue par le commanditaire Malraux sera une bavure dénoncée dès sa présentation. En la matière le faux - pas est possible surtout quand l’audace guide le bailleur. Une erreur qu’aurait pu commettre Mitterrand avec une pyramide décriée également à ses débuts pour sa rupture totale avec son environnement classique. Des hardiesses aux destinées opposées. Celle de Chagall tâche encore le Palais, quand la pyramide de Pei culmine aujourd’hui avec une admiration générale de la place du Louvre qu'elle sublime.

Quand la faute est avérée, on peut espérer une réparation. Pas celle de la grossièreté des organisateurs qui ont fait payer son billet à Charles Garnier oublié de la liste des invités pour l’inauguration de son Palais, mais on pourra toujours revoir la fresque de Lenepveu car elle a été finalement conservée et protégée. Le caprice du ministre autodidacte a provoqué des critiques si virulentes pour ce projet que Chagall le peindra caché et le terminera à Meudon sous protection militaire. On imagine le ressenti du peintre flanqué de supplétifs en uniforme, se remémorant sa longue hésitation avant d’accepter la commande après l'insistance du promoteur Malraux.Utiliser l’armée pour imposer une œuvre artistique relève de pratiques dignes d'autres régimes. Comment Debré et de Gaulle ont-ils pu autoriser les deux ?

Chagall peindra donc sur une toile amovible de 240m² tendue par-dessus la fresque de Lenepveu.

 

Alors quelle aura été la motivation de Malraux dans cette affaire qui ne l’aura pas servi ?

Comme beaucoup dans ces années 60 il connaîtra le mouvement artistique « Psychédélique  » de la contre-culture qui se développait sous son ministère des Affaires culturelles. Ce mouvement cherchait à augmenter les perceptions visuelles avec des couleurs vives et fouillées qui étaient appréciées de ses adeptes surtout sous psychotropes. Le rock s’associera au mouvement avec d’illustres figures ; Hendrix, Doors, Tangerine Dream, Pink Floyd…

L’art est bien le principal influenceur de l’art. 

 Peinture psychédélique

Plafond de Chagall

T shirt psychédélique

 

Les nombreux moments difficiles de la vie de Malraux faciliteront - ils ses descentes vers l’alcool et la drogue ? Aura-t-il apprécié ce mouvement pendant une de ces périodes compliquées, quand ses anciens amis (Sartre...) le traitaient de renégat pour son inconstance politique ? Il est difficile de comprendre son culot avec Chagall pour le Palais Garnier.

 

Une autre hypothèse pourrait expliquer ce coup pour Chagall dont il aura contribué à la reconnaissance, ici comme au Louvre.

Le peintre biélorusse d’une famille juive traditionaliste a fui son pays, certaines de ses œuvres conserveront les manifestations bibliques de sa judaïté en s’imprégnant néanmoins des tendances artistiques du moment, ou pas du tout comme avec son autoportrait.

 

 

Malraux et Chagall devront leurs liens aussi à cette attirance du premier pour le judaïsme et les juifs. Son mariage avec Clara Goldschmidt à qui il dit « soyez la plus juive possible c’est ainsi que vous m’intéressez » en est une manifestation. Comme il dit aussi « s’il y a une question juive, il n’y a pas de neutralité possible ; je suis philosémite, qu’on se le dise ».

Sa curiosité pour la culture juive et sa recherche en vain d'expressions artistiques remarquables, l’amèneront à un constat affligeant « nulle chanson de geste n’accompagne la tradition d’Israël ». Et de se prendre à imaginer, accablé, « Napoléon sans portraits… Alexandre sans statues ». Lui qui voyait comme Herzl en Israël une continuité de l’Europe, aurait-il voulu créer un pont entre la culture artistique fourmillante de l’Europe depuis des siècles et une nation israélite qu'il découvrait vide d’art depuis des millénaires et qu'il aurait voulu éveiller ?

Chagall a su s’extraire des ténèbres de sa communauté juive hassidique qui interdit toute représentation de vivants, en la quittant physiquement et moralement, pour trouver une nouvelle voie grâce à sa dévotion pour la peinture.

 

En 1938 avec sa « Crucifixion blanche » il associera à la crucifixion du Christ le malheur des juifs. Un judéo-christianisme inédit, trait d'un artiste qui ne craint pas de bousculer. 

Une rencontre en terrain flou entre un agnostique philosémite et un juif probablement "herem" qui ne justifie pas la faute du plafond. 

En attendant la restitution du plafond à Lenepveu et Garnier, le Goncourt de l’entre-deux-guerres et le grand peintre immigré se sont plus à se lier pour quelques temps encore en se laissant représenter sur le plafond de l’Opéra Garnier. Une signature de leur coresponsabilité.

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4 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 19 janvier 2023 10:05

    Bonjour, l’apostilleur

    Que Chagall ait été un grand artiste, nul ne le nie. Mais le fait que l’on peut, à mon avis, considérer l’initiative de Malraux comme une « bavure » esthétique.

    De quel droit d’ailleurs un ministre de la Culture peut-il s’arroger le droit de décider seul d’une telle modification de l’esprit d’un monument historique aussi emblématique ? 

    Il est vrai qu’il y a bien eu, depuis, volonté d’ouverture avec la rénovation du Forum des Halles par le biais d’une consultation  hélas ! non contraignante des Parisiens. Tout cela pour aboutir sur le projet le plus immonde avec un toit en « nid d’oiseau » d’une couleur hideuse et d’une saleté récurrente liée à un entretien difficile. Par chance, il ne s’agit pas là d’un monument historique et l’on peut penser que tout cela pourra être complètement remanié à moyen terme.


    • rogal 19 janvier 2023 10:25

      Chagall, un « grand artiste » à la peinture assez puérile.


      • placide21 19 janvier 2023 15:24

        Je trouve que le plafond de Chagall n’est pas classique mais beau , différent ,onirique ,tout à fait à sa place dans un endroit dédié au rêve, il s’insère bien dans le baroque du lieu .

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