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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Philippe Sollers et Voltaire

Philippe Sollers et Voltaire

« Intempestif, vorace, mélancolique, son style comme son allure firent de lui pour beaucoup de Français, et pendant de longues années, le visage de la littérature contemporaine. » (Emmanuel Macron, le 7 mai 2023).

Et Emmanuel Macron de poursuivre : « Celui qui naquit Philippe Joyaux fut un orfèvre de la bibliothèque du monde entier, qui la dota d’œuvres précieuses et majeures. (…) Ponge sera son initiateur, Barthes, Lacan, Foucault, Althusser ses professeurs, Julia Kristeva son grand amour. (…) Il a 21 ans quand il accède à la majorité médiatique par la publication de ses premiers romans, salués par "le Vatican et le Kremlin", Mauriac et Aragon. (…) Quand il n’était pas occupé à user de son talent en son nom, il l’employait à le déceler chez les autres, comme directeur de collection chez Gallimard. À travers ces réflexions sur l’art, le sexe, lui-même et Dieu, ces romans métaphysiques, ces autofictions exploratoires, pleines de références et d’intertextes, se dessine le portrait d’un inclassable. Érudit iconoclaste, bourgeois provocateur, léger et grave, altier et goguenard, se réclamant de l'antirévolutionnaire Joseph de Maistre comme de Karl Marx, séducteur mais moitié d’un couple inséparable, il débordait toujours le reflet qu’on lui prétendait lui renvoyer. ».

Comme toujours dans ces nécrologies élyséennes dithyrambiques, l'idée du Président, au-delà de rendre hommage au disparu et de présenter ses condoléances à la famille, est aussi de souligner à quel point la personne a contribué au génie français, à l'excellence française. C'est évidemment le cas de l'écrivain Philippe Sollers, qui est mort le vendredi 5 mai 2023 à Paris à l'âge de 86 ans (né le 28 novembre 1936 à Talence, pas loin de Bordeaux, sa seconde Venise) : « Ça ne me rend pas mélancolique, il suffit de mourir et voilà. Mais il y a quand même de grosses inquiétudes à avoir sur la respirabilité du monde. » (le 11 mars 2020 dans "Le Point").

Philippe Sollers a été enterré en l'église Saint-Étienne d'Ars-en-Ré le lundi 15 mai 2023 : « Ma tombe est déjà là, sur l’île de Ré, près de la maison familiale d’Ars. J’y ai fait sculpter ces mots de Hegel : "La rose de la Raison dans la croix du présent", car la rose est un motif de réconciliation. Je serai à côté du carré des aviateurs alliés abattus pendant la guerre. (…) Ni remords ni erreurs. Assez de "moraline". Je ne suis pas dans la morale, et je ne l’ai jamais été. » (le 25 février 2021 dans "Le Figaro"). L'île de Ré est son Atlantide à lui (lire "Graal").

D'où cet hommage présidentiel à « l’œuvre d’un écrivain éminemment français, dans sa virtuosité et ses paradoxes, et ainsi devenu universel, de Bordeaux à Venise ».

Cela n'empêche pas aussi de souligner, très discrètement en ce qui concerne le Président de la République qui a juste évoqué la revue "Tel Quel" qu'il a créée avec Jean-Edern Hallier (à laquelle ont collaboré, entre autres, James Joyce, Nathalie Sarraute, Roland Barthes, Pierre Boulez, Julia Kristeva, Jacques Derrida, Michel Foucault, Umberto Eco, Francis Ponge, Jean-Luc Godard, Georges Bataille, Claude Simon, Philippe Muray, Bernard-Henri Lévy, etc.), comme un « laboratoire d’une quête de sens artistique et politique qui le mène aux confins du maoïsme », souligner que l'écrivain parfois philosophe s'était fourvoyé dans le marxisme et le maoïsme, au point de rompre le 11 septembre 1971 avec le PCF qui n'était pas assez maoïste. Il a écrit notamment dans "Tel Quel" en avril 1971 : « Notre thèse est [que les quatre essais philosophiques de Mao] constituent, par rapport à la ligne massive des textes de Marx, Engels, Lénine, un "bond en avant" considérable et complètement original de la théorie matérialiste dialectique. ». Heureusement, en décembre 1976, le maoïsme de Philippe Sollers a fait long feu.

L'écrivain a publié près de cent dix ouvrages, principalement des romans et des essais, dont le dernier, un roman, sorti le 3 mars 2022 chez Gallimard, est étrangement intitulé "Graal", comme si c'était la dernière quête avant le départ (un retour vers l'Atlantide) : « L’éternité est sûrement retrouvée, puisque, comme toujours, la mer est mêlée au soleil. Le monde n’a pas disparu, mais on dirait qu’il a été retourné pour reprendre son cours céleste. Tout est maintenant immédiat, le temps ne coule plus, et le plus stupéfiant est que personne ne semble s’en rendre compte. Plus de sept milliards d’humains genrés poursuivent leur existence somnambulique. Rien à voir avec un jugement dernier, la notion de jugement a été effacée en route. Tout est détruit, mais rien ne l’est. ».

Il a beaucoup compté dans la France éditoriale des cinquante dernières années. Philippe Sollers était en effet un éditeur très influent de Paris ; à partir de 1984, il était le directeur de la collection "Les Infinis" aux éditions Gallimard, reprenant le nom de sa revue qui a succédé à "Tel Quel". Cela ne l'empêchait pas d'être un "rebelle" au système : « Être anarchiste dans le désert n’a aucun intérêt. Donc, je suis au cœur du système, avec des pas de côté. Ne nous le cachons pas : les adultes mentent et les enfants le savent. Et aujourd’hui, le mensonge est permanent et palpable. » (le 25 février 2021 dans "Le Figaro"). Il n'a pas toujours eu le nez fin puisqu'il avait refusé en 1992 le premier manuscrit de la romancière Amélie Nothomb ("Hygiène de l'assassin").

À l'annonce de sa disparition, les éditions Gallimard ont rendu hommage le 6 mai 2023 à « l'homme épris de liberté et des beautés de ce monde, l'amoureux des beaux-arts, de la musique et des lettres célébrant le sacré d'ici-bas, l'infatigable animateur de la vie intellectuelle et littéraire (…), l'auteur d'une œuvre romanesque novatrice et anticonformiste et d'essais critiques à la sensibilité universelle, l'ami furtif et attentif qui n'a jamais renoncé à dire que "le bonheur est possible" [qui] a rejoint "la vérité du grand merveilleux silence" ». De son côté, les éditions du Seuil, chez qui il a commencé, ont parlé le 10 mai 2023 de son œuvre « décisive dans l'histoire moderne de la littérature française ».

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Marié à la philosophe Julia Kristeva pendant plus de cinquante-cinq ans (à partir du 2 août 1967), maoïste repenti, Philippe Sollers était sur tous les fronts intellectuels. Il a rencontré le pape Jean-Paull II le 4 octobre 2000, bien qu'athée, et il avait son opinion (très personnelle) sur ses successeurs, Benoît XVI et le pape François qu'il considérait comme le dernier pape, en octobre 2018 : « Le pape François avait l'air de porter sur ses épaules tous les péchés de l'Église. Il avançait courbé, il n'a qu'un poumon, et c'est un métier de fou, comme il le dit lui-même. D'ailleurs, Benoît XVI avait compris que tout ça était fini, et c'est pour ça qu'il avait démissionné. Il m'intéressait, il était cultivé ; dans ses homélies, que je lisais avec attention, il citait Dante. Alors que François ne me donne pas l'impression de grande intelligence. Quant à ses affaires de pédophilie... ».

Prenant appui sur les scandales de pédocriminalité de l'Église, Philippe Sollers poursuivait en soulevant avant tout la question de la sexualité : « Pendant des siècles, l'Église a exercé un contrôle des femmes en échange de la promesse de la vie éternelle. Ça ne marche plus à une époque où l'on vit dans l'oubli de la mort. (…) La question est : pourquoi [les affaires de pédophilie] se produisent-elles dans le clergé catholique ? C'est que l'Église est un système pour que les femmes puissent avoir des enfants et que les prêtres, qui sont sont les fils de ces femmes, n'en aient qu'une : la Vierge Marie. Voilà ce qui ne marche plus. La pédophilie est quelque chose d'atroce, le diable est là, si je puis dire, alors que l'homosexualité de certains prêtres, ça a toujours existé, ce n'est pas grave. Mais, pour l'Église, le problème est le même : c'est la sexualité qui ne peut plus être contrôlée. L'Église, comme les mouvements LGBT, d'ailleurs, propose de se rassembler autour d'une sexualité commune. Alors que la sexualité est une chose parfaitement singulière, intime. (…) Du coup, les forces les plus réactionnaires de l'Église ressortent l'idée de marier les prêtres. Comme si le fait d'être marié faisait cesser d'être homosexuel ou pédophile. Quelle stupidité ! quelle confusion ! » (interview accordée à Jacques Braunstein pour "Le nouveau magazine littéraire"). C'est curieux de lire que, selon Philippe Sollers, ceux qui proposent le mariage des prêtres sont les plus réactionnaires alors qu'on penserait plutôt qu'ils sont les plus progressistes (à moins que pour Sollers, les deux mots veulent dire la même chose, ce qui m'étonnerait).

Évoquant Gabriel Matzneff (qu'il a édité et il ne le regrettait pas malgré le scandale), Philippe Sollers, qui a été entendu par la police, disait le 11 mars 2020 dans "Le Point" : « Vous savez, ce que je trouve le plus misérable dans cette affaire, c'est de dire et d'écrire comme ça l'a été fait, notamment par Élisabeth Roudinesco, que Matzneff n'avait aucun talent d'écrivain. C'est faux. Ce n'est pas un très grand écrivain, ce n'est pas Shakespeare. Mais, dire qu'il n'a aucun talent, c'est idiot. Ça, ça me choque. Ce n'est pas du tout ce que j'aime en littérature, mais enfin… Pendant mon audition, Véronique [la commissaire de police] m'a lu un long passage, la sodomisation d'un petit garçon. Je dois dire que, en effet, c'est très pénible à entendre. Elle m'a dit : "Vous n'allez pas me dire que c'est de la littérature, ça". À quoi j'ai répondu : "Pas de la meilleure, c'est un fait". Mon point de vue en littérature n'est jamais moral. Vous connaissez la phrase de Pivot ? "Autrefois, la littérature primait sur la morale. Maintenant, c'est la morale qui prévaut sur la littérature". La moraline, comme dit Nietzsche, m'est absente. À la moraline, aujourd'hui, on vous ajoute la culpabiline, qu'on vous fait boire à haute dose. Eh bien non, un innocent dans un monde coupable ne boit pas de la culpabiline ! L'époque où nous vivons, c'est ça : on est coincés entre la moraline et la culpabiline. (…) Springora n'a pas été violée, elle a subi une emprise. Les petits garçons de Manille, c'est autre chose. Matzneff s'en est expliqué, il a appelé ça, bêtement à mon avis, "détournement de majeurs". Il tombait sur un trafic, et un trafic auréolé de la bienveillance de la police. Tout est organisé pour satisfaire les touristes sexuels. Il n'y a pas que Matzneff. Il y a en ce moment même 10 000 pédocriminels en exercice. Je veux bien que Matzneff endosse tout, mais enfin… Bon, ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de dossier sur moi chez la police de Manille, voilà ! ».

Il insistait sur la victime : « C'est un très bon témoignage, qui d'ailleurs a enflammé tout de suite le marché. Il n'a pas à proprement parler de qualité littéraire, mais il faut le lire, pour savoir que le consentement est une notion qui peut être discutée. Vanessa Springora était sous emprise, mais, et elle le dit, elle était tout à fait consentante. Lui-même était très amoureux. Vous savez, il est très naïf, pour lui ce livre est une trahison. Là où Vanessa Springora est intéressante, c'est qu'au fond, et elle le dit, elle aurait pu vivre cette histoire s'il n'y avait pas eu le reste, les autres. Si elle avait été la seule, pourquoi pas ? (…) Moi, j'ai la plus grande considération pour Vanessa Springora parce qu'elle a mis trente ans à se reconstruire, et elle l'explique très bien, que la psychanalyse a eu son mot à dire, ce que le pauvre Matzneff, lui, ne peut pas comprendre une seconde. Donc, chapeau ! Mais il faut lire d'une main, "Le Consentement". Et de l'autre, ce que vous n'avez pas fait, et vous ne le ferez pas puisque le livre est retiré de la vente, "La Prunelle de mes yeux", et le rapport extraordinairement minutieux et quotidien que Matzneff y fait de leur relation. Sans avoir lu les deux, vous ne pouvez pas comprendre. ».

Dans la même interview, il s'intéressait aussi à Éric Zemmour : « Il m'intéresse beaucoup (…) parce qu'il est symptomatique de l'époque, qui est ultraréactionnaire au cas où vous ne l'auriez pas repéré ! La révolution qui s'accomplit dérange beaucoup de monde et ces gens-là surréagissent en surréactionnaires qu'ils sont, qu'ils auront toujours été. ».

Et parmi les séries télévisées, il n'hésitait pas à en citer une très médiocre, au risque d'être arrogant : « Il y en a une que je trouve extraordinairement intéressante, parce que là vous tombez brusquement dans le marécage petit-bourgeois français, c'est "Petits secrets entre voisins". C'est surjoué par des acteurs et actrices, sûrement très mal payés. Et c'est énorme, énorme… Comment faire pour sauver son couple, comment tomber enceinte au bon moment… C'est formidable. Vous avez là la misère petite-bourgeoise à votre disposition. Moi, je suis mort de rire parfois, tellement c'est bête. La bêtise me fait rire. ».

Défenseur acharné de l'œuvre de Louis-Ferdinand Céline (et aussi de Michel Houellebecq : « Excellent, Houellebecq ! "Soumission" est un livre tout à fait prophétique. C'est un regard aigu, un vrai mélancolique, lui, pour le coup. »), et admirateur sans borne de la reine Élisabeth II, Philippe Sollers s'est aussi inquiété, le 6 février 2019, auprès de l'ancien maire de Bordeaux, Alain Juppé, de l'avenir des grands vins bordelais, lui l'amoureux des vins et l'amoureux de Bordeaux : « Je m’étonne beaucoup d’apprendre que vous avez validé au nom de la ville de Bordeaux l’incroyable changement de noms de certains vins du terroir, qui deviennent des appellations du folklore chinois (…) et c’est ainsi que débarquent chez nous le lapin impérial, le lapin d’or, l’antilope tibétaine, et la grande antilope. (…) Je trouve toute cette affaire consternante. (…) Je pense que ces braves financiers de Hong Kong ne l’emporteront pas au paradis. ». En août 2022, les vœux de Philippe Sollers ont finalement été exaucés car les quatre grands vins bordelais ont retrouvé leur nom d'origine.

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Un sous-ministre que je ne citerai pas avait parlé de "Zadig et Voltaire", ce qui résultait d'une confusion mentale entre la littérature et une marque commerciale, les dégâts collatéraux d'une société de consommation à son paroxysme. On pourrait toutefois parler à bon escient de Sollers et Voltaire. En effet, Philippe Sollers était un amoureux de Voltaire, et pour un autre amoureux de Voltaire, comment ne pas l'apprécier, malgré toutes ses erreurs de jeunesse et ses dérives philosophiques, d'autant plus que la personnalité même de l'écrivain paraissait bien toute voltairienne, jusqu'à son porte-cigarette (Voltaire n'en utilisait pas évidemment) ?

Après les attentats de "Charlie Hebdo" de janvier 2015, le livre de Voltaire intitulé "Traité sur la tolérance" a connu une hausse spectaculaire des ventes. Le 20 mars 2015, Frédéric Joignot, pour "Le Monde", avait alors interrogé Philippe Sollers pour avoir son avis. L'entretien a même complété la nouvelle réédition du "Traité sur la tolérance" par les éditions Gallimard, en tant que préface.

Pour l'écrivain, les Français n'aiment pas Voltaire et lui préfèrent Rousseau : « On dirait que [les Français] découvrent Voltaire. Qu'ils l'aiment tout à coup. (…) Ce sont les Anglais qui l'apprécient le plus. (…) Les Anglais l'apprécient pour son ironie. En France, c’est différent. Voltaire est trop moqueur, trop irrévérencieux, trop remonté contre l’Église pour les gens de droite. Et la gauche lui reproche d’être déiste, rusé, d’avoir fréquenté les puissants et d’être mort riche. On l’encense aujourd’hui parce qu’il attaque avec virulence le fanatisme et défend la tolérance. Mais si on le loue pour son "Traité", on s’arrête là. Tous oublient l’ironie de Voltaire, ses sarcasmes, ses combats. Cette manière de faire semblant d’adhérer à la bêtise, pour mieux la ridiculiser. L’ironie ! Elle est plus aiguisée que le blasphème… ».

Et de rappeler : « On nous présente un Voltaire tolérant, allégé, décaféiné, mettant tout le monde d’accord, alors que c’est un combattant perpétuel, plein de mordant. Roland Barthes le dit bien, dans sa préface [1964] aux "Romans et Contes : "Nul mieux que lui n’a donné au combat de la Raison l’allure d’une fête. Tout était spectacle dans ses batailles : le nom de l’adversaire, toujours ridicule, la doctrine combattue, réduite à une proposition (l’ironie voltairienne est toujours la mise en évidence d’une disproportion) ; la multiplication des coups, fusant dans toutes les directions, au point d’en paraître un jeu, ce qui dispense de tout respect et de toute pitié". Il faut le rappeler, Voltaire a mené un combat politique, intellectuel, jusqu’à la fin. Il était extraordinairement intolérant envers la bêtise et la tyrannie. Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance, voilà Voltaire ! ».

Cela n'avait rien à voir avec le "politiquement correct" : « La tolérance vendue à l’heure actuelle, c’est la fadeur. (…) Cela devient un concept bourgeois. Cela confine à la soumission. Voltaire est un insoumis. Il est en fureur contre l’intolérance. Il pourfend les dévots, il les raille, les tourne en dérision. Imaginez ce qu’il aurait écrit sur le Coran aujourd’hui, lui qui a écrit "De l’horrible danger de la lecture" (1765), prétendument rédigé par un " mouphti du Saint-Empire ottoman" décidé à interdire les livres et l’imprimerie. (…) Je l’imagine bien commentant les vidéos qui vous présentent le soir vos égorgements préférés. Il manque, Voltaire, là ! ». Précisons que lorsqu'il parlait de Voltaire insoumis, c'était en 2015, donc sans connotation politicienne, bien avant que Jean-Luc Mélenchon n'ait eu l'idée de créer son parti France insoumise.

Sollers citait ainsi Voltaire : « Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. (…) Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? ». Et de commenter la justesse des propos du philosophe de Ferney : « Remarquez combien " égorger " pour plaire à Dieu prend aujourd’hui une connotation réaliste. Il ajoute encore, ce qui montre combien il voit juste, que ce sont "les fripons" qui conduisent les fanatiques. Nous le voyons bien aujourd’hui, avec l’État islamique qui rançonne, pille, fait du trafic de drogue et d’antiquités… ».

Mais pour Philippe Sollers, "Charlie Hebdo" n'a rien de l'esprit voltairien : « Voltaire n’est jamais caricatural. L’ironie n’est pas caricaturale. L’ironie ne blasphème pas. C’est un poison lent, efficace, qui s’occupe des centres nerveux de la maladie qu’est le fanatisme. Comment être "voltairien " ? Il faudrait être à la hauteur de l’ironie et du style de Voltaire. "Charlie Hebdo" perpétue l’anarchisme français. C’est la tradition anticléricale des anarchistes et socialistes utopistes, des Proudhon et des saint-simoniens, un courant très profond en France. (…) On fait de la caricature, mais on ne fait plus de grande philosophie. ».

On réédite bien sûr Voltaire de nos jours, mais peut-on encore sortir un bouquin provocateur aujourd'hui ? En ayant à l'esprit l'œuvre de Gabriel Matzneff, Sollers, interrogé dans "L'Obs" et publié le 19 mars 2020, mais sans doute avant de connaître la décision du confinement, était plutôt pessimiste sur l'avenir des livres en général (d'autant plus qu'il constatait que plus personne ne lisait, au profit des réseaux sociaux) : « Il n'y aura plus de scandale puisque tout aura été contrôlé à la source. Je ne suis pas le seul à m'inquiéter de la liberté d'expression. Il y a une crise anthropologique formidable. Évidemment vous pouvez attaquer Freud, ça a eu lieu, ça continuera d'avoir lieu. Lacan me manque. ». Aujourd'hui, assurément, Sollers va manquer !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Un nouvel Houellebecq ...et une polémique de plus ?
Henry Kissinger.
Roger-Gérard Schwartzenberg.
Voltaire.
Philippe Sollers.
Jacques Rouxel.
Jacques Maritain.
Aimé Césaire.
François Léotard.
John Wheeler.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.
Le Petit Prince.
Maurice Bellet.
Stéphane Hessel.
François Cavanna.
Art Spiegelman.
Molière.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.








 


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6 réactions à cet article    


  • Clocel Clocel 5 juin 2023 10:41

    Le point de commun, c’est d’avoir tout deux, commencé à bien pourrir de leur vivant ...


    • martinez 5 juin 2023 18:26

      Sur le site de l’Elysée, Foucault est écrit Foucauld ! Encore heureux que ce ne fût pas Fauculd ! 


      • Jonas Jonas 5 juin 2023 20:15

        Sollers citait ainsi Voltaire : « Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. (…) Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »

        C’est tout le problème de Voltaire et des philosophes des Lumières, qui prétendent s’affranchir de toute limite et de toute morale, en niant la puissance Divine. Tout devient donc permis, laissant libre cours à la perversion et au mépris :

        « La race des nègres est une espèce d’homme différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers. La forme de leurs yeux n’est point la nôtre, leur laine noire ne ressemble point à nos cheveux, et si on peut dire que leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande attention. »
        Voltaire - « Essais sur les moeurs et l’esprit des nations » (1740-1756)

        « Notre aumônier prétend que les Hottentots (namibiens, peuplade d’Afrique), les Nègres et les Portugais descendent du même père. Cette idée est bien ridicule. »
        Voltaire - « Les lettres d’Amabed » (1769) - Romans et contes - garnier-Flammarion p537

        « C’est une grande question parmi eux s’ils sont descendus des singes, ou si les singes sont venus d’eux. Nos sages ont dit que l’homme est l’image de Dieu : voilà une plaisante image de l’Être éternel qu’un nez noir épaté, avec peu ou point d’intelligence ! Un temps viendra, sans doute, où ces animaux sauront bien cultiver la terre, l’embellir par des maisons et par des jardins, et connaître la route des astres. »
        Voltaire - « Les lettres d’Amabed » (1769) - Romans et contes - garnier-Flammarion

        « Les albinos, ces animaux ressemblant à l’homme, n’ont d’homme que la stature du corps, avec la faculté de la parole et de la pensée dans un degré très éloigné du nôtre. »
        Voltaire - « Essais sur les moeurs et l’esprit des nations » (1740-1756)

        « Enfin je vois des hommes qui me paraissent supérieurs à ces nègres, comme ces nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres et aux autres animaux de cette espèce. »
        Voltaire - « Traité de métaphysique » (1734-1737)

        « Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maître était né pour en avoir. »
        Voltaire (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, 1753)

        « Les hommes en général ont des organes plus capables d’une attention suivie que les femmes. La supériorité masculine est une chose entièrement naturelle. »

        Voltaire : « Dictionnaire philosophique » - Génèse (1764)

        « N’est-il pas aisé d’imaginer un animal à deux pieds sans plumes, qui serait intelligent sans avoir ni l’usage de la parole, ni notre figure, que nous pourrions apprivoiser, qui répondrait à nos signes, et qui nous servirait ? »
        Voltaire - « Dictionnaire philosophique » - notice chaîne des êtres crées - Garnier-Flammarion (1764)

        « On ne voit, au contraire, dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune action généreuse. Ils ne connaissent ni l’hospitalité, ni la libéralité, ni la clémence. Leur souverain bonheur est d’exercer l’usure avec les étrangers ; et cet esprit d’usure, principe de toute lâcheté, est tellement enraciné dans leurs cœurs, que c’est l’objet continuel des figures qu’ils emploient dans l’espèce d’éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils peuvent s’emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs ; ils sont les ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps chez cette nation atroce.« 
        Voltaire - « Essai sur les mœurs et l’esprit des nations » Chapitre VI, 1740, Œuvres de Voltaire, Paris, 1819, tome 13, page 298.


        • troletbuse troletbuse 6 juin 2023 01:29

          Eloge à la pédophilie ?


          • Vivre est un village Vivre est un village 6 octobre 2023 14:36

            @troletbuse
            Philippe Sollers se marie le 2 août 1967, à Julia Kristevapsychanalysteécrivain et sémiologue, d’origine bulgare. Le couple a un fils, né en 197545.

            https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Sollers
            Par ailleurs dans son livre « Agent secret » Philippe Sollers rend un hommage appuyé à Julia Kristeva tout en mettant en avant sa liaison avec Dominique Rolin : 

            DOMINIQUE ROLIN, TOUJOURS

            Entretien avec Philippe SOLLERS

             

            Après une traversée de plus de « cinquante ans d’amour fou », le duo Sollers-Rolin est entré dans la légende littéraire. Ces deux amants sont d’abord et avant tout deux écrivains. Au fil de sa correspondance [1] avec cette femme de plus de vingt ans son aînée, qu’il ne cessera jamais d’aimer, Philippe Sollers [2]  dévoile des facettes méconnues de sa vie qui l’ont entièrement façonné, corps et âme.

             http://www.philippesollers.net/dominique-rolin-toujours.html

            A bientôt.
            Amitié.


          • Vivre est un village Vivre est un village 6 octobre 2023 13:55
            Philippe Sollers : sur le nihilisme

            « Ce qu’il faut se demander toujours, c’est ce que les gens ne veulent pas savoir. »

            https://blogs.mediapart.fr/luc-rigal/blog/150623/philippe-sollers-sur-le-nihilisme

            Par exemple, on voit bien que Manet reste encore aujourd’hui tout à fait méconnu. Olympia, Le Déjeuner sur l’herbe ont suscité une telle haine à l’époque, et encore aujourd’hui (lisez l’article débile qui vient de paraître dans Libération le 21 juin 2012). Moment très étrange de peinture et de poésie, c’est l’expérimentation de quelque chose de néantisant.

            Ont été contemporains Manet, Lautréamont, Rimbaud et, un peu plus tard, Cézanne. C’est quelque chose qu’on ne comprend plus aujourd’hui.

            A. W. L. : Quelle est la place de ce moment esthétique dans l’histoire culturelle ?

            P. S. : Cette place reste unique. Récemment, à l’exposition Manet du musée d’Orsay, j’ai vu le public ne rien voir. Au point qu’on pouvait regretter le temps où les tableaux de Manet pouvaient encore choquer. Il n’y a plus de scandale aujourd’hui. Notre société a atteint sa vitesse de croisière du nihilisme, indélogeable. Pas la peine de s’indigner. Il faut trouver sa voie solitaire, à l’écart. Plus de Paradis, Dieu est mort et se décompose de façon de plus en plus nauséabonde, et la société, devenue Dieu, s’appelle les marchés financiers. Car le moment où le sexe et l’or changent profondément de nature est le moment où, chez Goethe, le vieux Diable lui-même trouve que quelque chose n’est plus comme autrefois. Je ne vous dirai pas où va nous mener la formidable tornade bancaire actuelle : il n’y a pas de fin. Quelle pourrait être la fin d’ailleurs ? Je ne vous dirai pas non plus ce que devient un objet de soufre et d’idéal comme le sexe ou l’amour. L’apocalypse, vous aurez une impression fallacieuse que nous n’y sommes pas encore. Quelle illusion ! Ce fonctionnement de la société (l’argent fou, la publicité, la mode) est une des nouvelles nervures de l’Enfer, où le temps lui-même est attaqué à la racine. Ce qui s’est passé ce matin est déjà obsolète et terminé.

            A bientôt.

            Amitié.

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