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Accueil du site > Culture & Loisirs > Le mainate du « Beau-Fort »

Le mainate du « Beau-Fort »

 

Qui aime le vent…

 

Il advint qu'un grand et beau trois mâts, « Le Beau-fort » voguait vers son destin océanique avec sa mascotte : un oiseau bavard qui faisait la fierté d'un équipage de marins patibulaires. Nul ne sut quelle était la destination de leur course tant les matelots se montraient discrets sur les buts d'un voyage qui devait durer de longues semaines. Flibustiers, forbans, pirates, boucaniers, corsaires, le mystère enveloppait ce bâtiment dont la devise n'était pas usurpée.

La mascotte virevoltante flanquée d'un prénom humain, « Francis », aimait à se percher au faîte du mât, servant semble-t-il de vigie tant ce drôle d'oiseau était capable de manier la langue des gars qui vont sur l'eau. Il en savait assez pour les avertir si une autre voile était en vue ou si un grain s'annonçait. C'est dans ce domaine prévisionnel du reste que Francis le mainate brillait d'une intuition incomparable, l'instinct animal sans aucun doute.

Le mainate, bel oiseau au plumage noir brillant et au bec orangé, quoique d'un physique banal, il est réputé pour son talent incomparable d'imitateur, capable de reproduire la voix humaine et les sons qui l’entourent à la perfection. Francis, bruyant et malpropre comme ses compères, adorait être câliné par les matelots qui lui pardonnaient ses nombreuses déjections puisque l'oiseau disposait d'un caractère fort sociable. Bavard impénitent, connu pour ses talents oratoires, il peut produire à l'identique des intonations de la voix humaine. Francis contrairement à ses congénères avait cessé d'imiter pour prendre l'initiative de la conversation.

Francis adorait par-dessus tout quand le vent gonflait les voiles, lorsque ses plumes étaient cinglées par les embruns tandis qu'il admirait les moutons sur les flots. L'animal réputé grégaire, s'ennuyait ferme, sur ce bateau qui était devenu, au fil du temps, sa prison. Las de tous ces voyages passés sur son navire, il entendait bien profiter de la prochaine escale pour se faire la belle et retrouver la terre ferme. Notre mainate à l’évidence, manifestait des signes de dépression. C'est sans doute ce qui expliquera la suite de cette histoire…

Dans ce contexte psychologique, l'oiseau broyait du noir tandis que le Beau-Fort était englué dans la pétole. Pas un souffle d'air, une mer d'huile tandis que la fumée de la cambuse montait verticalement jusqu'à venir importuner le pauvre Francis, indisposé par les effluves du fricot du jour. Il n'en fallut pas plus pour que l'aventure tourna en eau de boudin.

Francis, dans l'état d'esprit qui était sien, fatigué de la conversation d'un équipage qui en manquait singulièrement se prit de l'envie folle de changer d'interlocuteur tout en échappant à l'odeur nauséeuse qui l'importunait. Des esprits avisés me rétorqueront que le mainate aurait pu changer de perchoir, trois mâts offrent cette possibilité pour qui a des ailes. C'est mal connaître notre lascar qui n'aimait rien tant que son perroquet. Se sentir au-dessus de la mêlée et des huniers était pour lui un impératif.

C'est ainsi que Francis se surprit à vouloir réclamer une faveur à son ami le vent. N'en pouvant plus de cette odeur, il s'adressa à « Éole » en personne sans trop préjuger de la réussite de sa requête. C'étaient des paroles en l'air qu'il exprimait pour lui-même bien plus qu'il n'escomptait être entendu. Il gonfla son torse, se dressa sur ses ergots et lança à la volée : « Vent, vent, mon ami invisible, fais donc un petit effort, repousse cette fumée qui me donne la nausée ! »

Il n'eut pas achevé sa phrase qu'elle était déjà exaucée. La mer se rida légèrement, il sentit une très légère brise caresser ses plumes tandis que la fumée provoquée par ce maudit coq qui le regardait toujours avec une envie de le passer à la casserole, fut repoussée, pour son plus grand bonheur. Ainsi donc, Francis était capable de se faire entendre du vent.

Il voulut vérifier cette hypothèse en poussant l'exigence un peu plus loin. Désireux de voir des vaguelettes sur l'océan, il se permit d'en demander un peu plus à son nouvel interlocuteur : « Vent, vent, puisque tu m'entends, j'aimerais que tu fasses un effort plus conséquent. Souffle un peu plus fort que je te sente sur ma gueule ! ». Sitôt réclamé, sitôt servi. Le vent avait poussé son curseur d'un degré supplémentaire.

Le mainate se satisfit un temps de ce prodige, jouissant pleinement d'un pouvoir qu'il envisageait déjà de monnayer auprès du capitaine. Il y avait là matière à obtenir des privilèges tant celui-ci réclamait souvent que le vent serve ses noirs desseins. Francis se frottait les pattes, ce qui n'est jamais commode pour ceux de son espèce quand il voulut s'assurer de ce prodige : « Mon cher vent, j'aimerais que des petits moutons me tiennent compagnie sur l'Océan. Souffle plus fort encore qu'une petite brise agite les drapeaux et me ravisse plus encore ! »

Le miracle continuait. Les souhaits du mainate se matérialisaient immédiatement, le vent lui obéissant au bec et à l'œil. Un véritable prodige tandis que sous son perchoir, l'équipage râlait puisque ce maudit souffle avait interrompu le repas, le capitaine exigeant que l'on hisse les voiles. Voyant cela, notre oiseau se sentit pousser non pas des ailes mais un pouvoir qui le distrayait et dont il entendait user.

Il se dit qu'il aimerait voir des moutons plus gros, qu'une jolie brise ferait s'envoler tout ce qui traînait sur le pont pour enrager plus encore les matelots. Grisé par son pouvoir il ordonna cette fois au vent de forcer et de grossir : « Vent, obéis-moi ! Souffle plus fort encore. » Malgré ce ton comminatoire, Éole se plia à la volonté de l'oiseau et fit comme il l'exigeait.

Cette fois, la dépression de l'animal avait laissé place à l'exaltation et dans le même temps, c'est le temps qui devint dépressif. Euphorique, exalté par son nouveau pouvoir Francis réclama des vagues, des embruns et une bonne brise pour entendre siffler les bouts dans la mature et se sentir moins seul. Le vent, obéissant, servit son nouveau maître tandis que sur le pont, l'agitation était grande pour le plus grand bonheur de celui qui était devenu le seul maître à bord.

Francis conscient de sa nouvelle puissance réclama un vent frais, des lames et des crêtes d'écumes, tandis que dans la mature s'agitaient les drisses et les haubans. Le mainate hurlait pour se faire entendre : « Plus fort encore, plus fort encore ! ». Il avait soudain un sentiment de puissance, se prenant pour Dieu en personne. « Pourquoi ne pas tenter le diable ? » se dit-il, alors qu'il devait s'agripper à son perchoir.

Il osa : « Vent, vent, je veux te sentir plus encore, te voir en colère. Souffle plus fort, que les vagues déferlent sur le pont, que les matelots s'arc-boutent, que le Grand Frais nous pousse vers notre destin ! ». L'oiseau venait de franchir une étape, sa manière de s'exprimer changeait de nature. Il était gonflé de son importance au point de ne plus pouvoir se contrôler.

 

Francis 1°, le mainate qui commande le vent, voulut que son nouveau règne débute de manière fracassante : « Vent je t'ordonne un grand coup de balai sur le pont. Que nul ne puisse t'affronter, que des tourbillons d'écume accompagnent ton souffle puissant. » Et il fut obéi tandis que le navire tanguait dangereusement.

Le nouveau maître du monde maritime en voulait toujours plus : « Encore plus fort ! ». Cette fois l'injonction se privait de fioriture. Il était certain de sa puissance et obtint ce qu'il exigeait ainsi. Le fort coup de vent annonçait le pire et c'est justement ce qu'entendait provoquer l'animal qui ne se maîtrisait plus. Tous les gréements geignaient, la mature souffrait, le Beau-Fort était en péril.

Le mainate se démenait pour conserver sa posture sur son perchoir tandis que son équilibre mental s'était envolé depuis longtemps. Ivre de puissance il hurla : « Vent, vent, déclenche la tempête, je te l'ordonne, je te l'impose, qu'importe les conséquences pour ce navire ! Je veux être le maître du monde ! ». Cette fois le ciel s'obscurcit, un mât se brisa, les voiles se déchirèrent. Le navire en perdition n'était plus qu'une coque de noix à la dérive.

Francis en voulait davantage. Il avait perdu pied, ne sachant plus ni ce qu'il faisait, ni ce qu'il disait. Il tomba du côté de la force obscure, coupant les ponts avec le réel tandis que sombrait le Beau-Fort qui n'avait pu résister à ce coup de folie. Emporté par les bourrasques, ballotté comme fœtus de paille, l'oiseau vociférait dans la tourmente : « Vent je t'aime, vent je te veux. J'ai pu mesurer ta puissance, maintenant c'est toi que je veux éteindre. Je veux me perdre en toi, te voir enfin et jouir pleinement de ta puissance ! »

Le mainate dans un horizon totalement bouché, sur une mer déchaînée et démontée, au-dessus des épaves éparses de ce qui avait été le Beau-Fort, vit surgir un ouragan, une tornade, un typhon, un monstre tournoyant sur lui-même et emportant tout sur son passage. Francis l'espace d'un bref instant vit enfin le vent juste avant que le vent lui-même l'engloutisse à jamais dans son œil.

Ainsi s'acheva l'existence de ce drôle d'oiseau qui se surprit à vouloir commander au vent. Le pouvoir conduit toujours dans les excès les plus terrifiants. Le mainate nous en a administré la preuve tout en sacrifiant des forbans qui, s'ils méritaient la potence, auraient eu tout de même droit à un jugement. Leur ancienne mascotte s'était arrogé le privilège de les condamner sans autre forme de procès et finit par payer cette folie de sa propre existence. Puisse cette histoire servir de leçon à nombres d'oiseaux de mauvais augure.

 

« Qui aime le vent, récolte la tempête ». Nul ne peut souffler impunément sur les braises, déclencher la tourmente et la folie meurtrière. La nature finit toujours par prendre le dessus sur les apprentis sorciers et ces hideux personnages qui se prennent pour les maîtres des océans et des zones terrestres. Que cette aventure soit portée par un petit vent fripon vers ceux qui ont besoin de bien plus de modération dans leurs agissements.

 

À contre-vent.

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11 réactions à cet article    


  • mosel 23 octobre 2022 17:54

    vla bon vent de marie laforet


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 octobre 2022 21:42

      @mosel

      Mamie m’appelle


    • Clark Kent Clark Kent 23 octobre 2022 18:14

      Ce mainate a eu plus de chance que Vert-Vert, le perroquet recueilli par les sœurs Visitandines de Nevers qui l’avaient offert à leurs coreligionnaires de Nantes et dont le seul voyage a été assuré par un batelier de la Loire qui lui a inculqué un nouveau vocabulaire.



      • sophie 23 octobre 2022 18:30

        J’ai connu un bar d’écluse avec un mainate et un petit singe, le mainate sifflait la marseillaise et le singe fouillait dans tes poches, je ne sais ce que sont devenues ces animaux (le bar et l’écluse ont disparu)


        • sophie 23 octobre 2022 18:34

          @sophie
          l’oiseau faisait aussi des tas de bruits à la perfection et au bon moment comme l’ouverture du tiroir caisse : ting


        • C'est Nabum C’est Nabum 23 octobre 2022 21:45

          @sophie

          ça devait être charmant


        • juluch juluch 23 octobre 2022 19:57

          Voilà une bestiole bien mal inspirée.....à vouloir dompter la nature, elle finis par se retourner contre vous !


          • C'est Nabum C’est Nabum 23 octobre 2022 21:45

            @juluch

            Une leçon à retenir


          • Lynwec 24 octobre 2022 09:07

            « Mes nattes ! »

            Exactement ce que criait ma fille à l’époque, quand son frère les lui tirait pour jouer... Ce qui déclenchait là aussi une tempête...

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