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Commentaire de Nicolas Kirkitadze

sur Pourquoi ne faut-il jamais prononcer le mot « lapin » en mer ?


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Nicolas Kirkitadze Nicolas Kirkitadze 9 juillet 2019 18:54

Bonjour @popov

Mon article sur l’opportunisme avait justement pour but de démontrer que ce n’est pas une immoralité ou un retour à l’état barbare mais bien un comportement humain et une pensée politique morale. Défendre l’opportunisme politique n’empêche pas d’avoir des valeurs. L’individualisme/opportunisme n’est pas une apathie ni un voyeurisme sadique : évidemment que si un enfant se noie ou si une femme se fait agresser, un individualiste doit intervenir et aider la personne, le contraire serait de l’inhumanité. Mais, il refusera d’aller faire la guerre ou de payer plus d’impôts pour la collectivité, car il n’en reconnait pas la légitimité. Aider une personne en difficulté est un devoir humain, mais se plier à la collectivité et se sacrifier pour un prétendu « intérêt commun », c’est juste de la sottise. L’aide ou l’échange de services (et non de « dons », ce concept étant hypocrite) se passe entre individus mais pas avec la collectivité. Le principe d’altruisme libéral est le suivant : je vous aide non pas parce que la loi me l’ordonne ou pour plaire à un dieu et avoir ma place au paradis, mais parce que vous êtes un individu comme moi et que je fais le libre choix de vous venir en aide, d’humain libre à humain libre - avec l’espoir non-dissimulé que vous en ferez de même pour moi si les rôles sont inversés. Comme disait la philosophe Ayn Rand, l’individualisme rationnel est « la pensée la plus morale et la plus honnête qui soit ». Car, contrairement aux idéalistes, un individualiste ne prétend pas être désintéressé et n’a pas peur d’admettre qu’il agit aussi dans son intérêt propre avant la collectivité. Je ne dis rien de plus ici. Comme vous le soulignez, j’ai un patronyme étranger, il se trouve que je suis en plus malvoyant - si on y ajoute mon libéralisme, celà fait de moi une cible privilégiée de l’extrême-droite. Et n’oublions pas qu’ils me voient comme un apostolat qui a osé ouvrir les yeux et quitter leurs rangs. Bref, si ces gens prenaient le pouvoir, ma sécurité serait loin d’être garantie. Donc, combattre cette idéologie n’est pas totalement désintéressé dans mon cas, et je n’ai aucun tabou à l’admettre. C’est aussi mon intérêt propre qu’ils n’arrivent pas au pouvoir ; celà ne m’empêche nullement d’avoir des valeurs morales, de combattre sincèrement pour l’émancipation des minorités et d’aimer fraternellement ces dernières. Mais, contrairement à un idéaliste, je n’aurai pas la malhonnêteté de prétendre que ce combat pour les minorités est un don sans intérêt de ma personne : non, il s’agit bien d’échange car il se trouve que les migrants, les musulmans et moi, avons un intérêt commun à ce que le nationalisme n’arrive pas au pouvoir. L’individualisme est une sortie de l’hypocrisie et une entrée dans la morale authentique. C’est en tous cas ainsi que je vois les choses.

Vous avez en tous points raison sur la Géorgie dont l’histoire est fort riche depuis le Paléolithique et assez ignorée par le monde de la recherche. Il y aurait en effet beaucoup à raconter. Cependant, je ne souhaite pas qu’on assimile mes articles à de la propagande chauvine. Combattre le nationalisme français tout en racontant l’histoire et la culture de mon pays d’origine, certains auraient tôt fait d’y voir un paradoxe voire la concrétisation de leur fantasme de « Grand Remplacement », ce qui leur donnerait du grain à moudre. Quand la menace brune sera définitivement écartée, je compte bien lâcher pour toujours la politique et écrire en priorité sur mes grandes passions que sont l’art, l’histoire et la spiritualité ; là, je vous parlerai avec plaisir de cette histoire plurimillénaire. Ceci dit, puisque vous semblez intéressé (ce qui est à votre honneur, beaucoup de gens ne s’intéressant même pas à l’histoire de leur propre pays, tant leur curiosité est anesthésiée), je ne saurais vous laisser sans réponse. Donc, voici une petite introduction schématique.

Comme vous le dites, l’homo georgicus est un des plus anciens hominidés trouvés hors d’Afrique : il daterait d’environ 1,8M années. C’est un des rares hominidés carnivores de cette époque, ce qui lui a permis de survivre à de si hautes latitudes. Mais c’est au néolithique qu’on a le plus de traces historiques : on sait notamment que ce serait le berceau de la viticulture vers -5000, à noter d ailleurs que le mot « vin » proviendrait lui-même de la langue géorgienne. Cette langue, justement, est un isolat linguistique dont on n’a pu établir aucune parenté avec certitude. L’hypothèse d’un cousinage avec le basque - envisagée par certains linguistes et anthropologues - me paraît personnellement fantaisiste. Je penche davantage vers l’hypothèse sumérienne, eu égard aux similitudes grammaticales et phonétiques entre les deux langues. Bien sûr, je ne dis pas que je descends des Sumériens : je pense que les proto-kartveliens et les proto-sumériens formaient deux branches collatérales d’un même proto-groupe ethno-linguistique qui a du se scinder vers la fin de l’ère glaciaire. Quoi qu’il en soit, les premières mentions des Géorgiens (ou plutôt proto-Géorgiens) sont en akkadien et remontent au XXème siècle avant notre ère : il s’agissait alors de petites principautés vassales de l’empire akkadien auquel elles payaient tribut. D’après Hérodote, des Égyptiens s’y seraient également installés suite à une expédition militaire vers -1850. Même si je trouve l’hypothèse séduisante, elle est sans doute fausse, aucune source égyptienne n’attestant une expédition si lointaine. Ensuite, l’âge de bronze et le début de l’âge de fer sont assez méconnus faute de sources. On sait qu’il y avait deux grands royaumes (Diauehi et Colchis) et qu’ils étaient tour à tour sous l’influence hittite, babylonienne, puis assyrienne et perse, en gardant malgré tout leur indépendance. Malheureusement, ces deux royaumes se faisaient la guerre entre eux au lieu de s’unir, ce qui a provoqué leur anéantissement mutuel au VIIeme siècle : ils étaient économiquement et militairement exsangues à force de se déchirer, si bien que l’empire perse n’a eu aucun mal à les annexer. C’est finalement Alexandre qui a libéré les Géorgiens de l’emprise perse en 330. Mais les Grecs étaient en fait présents depuis plusieurs siècles (surtout à l’ouest, où ils avaient fondé plusieurs cités). La renaissance d’un état géorgien s’opère en -302, lorsque Pharnabaze 1er, fils d’un roitelet local, réussir à unifier les diverses petites principautés et à créer le vrai premier état géorgien auquel il donne un alphabet, un code juridique, une organisation militaire ainsi que la religion mazdeiste venue d’Iran (remplaçant ainsi l’ancien panthéon polythéiste). Ses descendants ont su étendre la domination géorgienne vers ke Caucase et maintenir tant bien que mal leur indépendance face aux royaumes hellénistiques puis face aux Parthes et aux Romains.

Vous évoquez la conversion au christianisme. Cela se passa en 334 sous le règne de Mirian III, un roi d’origine iranienne. Selon la tradition, la reine avait une servante qui avait réussi à la convertir et elle-même aurait converti son mari qui aurait eu une vision... La vérité, c’est que Mirian III voulait sortir son royaume de la suzeraineté des Perses sassanides (avec lesquels la Géorgie partageait la foi mazdeiste) et se rapprocher de Rome dirigée alors par Constantin. Dès 298, il avait signé un traite d’alliance avec Rome pour sortir du cercle d’influence perse. Sa conversion est donc à considérer sous un angle plutôt politique que mystique.

Pour ce qui est du siège de Bagdad en 1258, j’admets (non sans rougir) que j’ignorais totalement la participation géorgienne. Merci de me l’apprendre smiley. Je savais cependant que la Géorgie était alors sous l’influence des Mongols, apparus peu après le décès de la reine Tamar 1ère (1213) dont le règne est un âge d’or politique, économique et culturel dans l’historiographie géorgienne... un âge d’or de courte durée puisque le pays perdit vite son indépendance et fut obligé de combattre aux côtés des maitres en vertu du traité de 1240 faisant de la Géorgie un pays vassal de l’empire mongol... d’où la participation forcée de Géorgiens au terrible siège de Bagdad. Je veux cependant croire qu’ils n’ont pas pris part aux exactions contre les civils, mais tout est possible...

Il y aurait bien sûr beaucoup plus à dire sur l’histoire de ce pays. Le mythe des Argonautes et celui de Prométhée, par exemple, qui tirent leurs origines là bas. Les rapports entre Grecs et Géorgiens mériteraient un article en soi. Je n’ai pas non p !us évoqué le règne de Vakhtang 1er au Vème siècle qui constitue le premier âge d’or de la Géorgie, ni les siècles obscurs (500-900) faits de guerres civiles, et, enfin, la réunification du royaume au Xème siècle. On pourrait y ajouter la libération du joug mongol au XIVème puis la lutte contre l’Iran et les Ottomans entre 1500 et 1800, et l’annexion par la Russie tsariste en 1801 jusqu’en 1918 et l’annexion par l’URSS en 1921 après seulement trois ans d’indépendance jusqu’en 1991. Pour ne pas surcharger mon commentaire, je vais m’arrêter là même si chacun de ces épisodes mériterait un article à lui seul. Les historiens orientalistes expliquent tout ceci bien mieux que moi, je ne peux que vous inviter à vous tourner vers leurs recherches si vous êtes intéressé par des informations complémentaires, ce commentaire n’étant qu’une introduction d’introduction. En revanche, je vous déconseille les historiens géorgiens qui adoptent une vision ethnocentrée dans leurs recherches et manquent hélas de rigueur scientifique. Je vous déconseille également les historiens russes qui, eux, au contraire, prennent systématiquement le parti anti-géorgien et interprètent l’histoire de ce pays à l’aune de la propagande kremlinienne. Bref, tant que le nationalisme embrumera les consciences (de part et d’autre) les historiens ne feront pas de recherche mais de la propagande.

J’espère que mon commentaire aura répondu à vos questions.

Cordialement

Nicolas K.


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