• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de bluebeer

sur Coming out d'un rival de De Gaulle ?


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

bluebeer bluebeer 16 février 2009 00:17

Bonjour.

A l’instar d’Hergé, Tintin est l’héritier d’un milieu et d’une époque. Scout catholique, marqué à droite et flirtant avec les extrêmes, ses dérapages de jeunesse devraient logiquement le désigner à notre ostracisme éclairé comme héros de littérature « nauséabonde » (label de qualité exclusivement réservé à l’extrême droite – si j’étais d’extrême gauche, je serais un peu jaloux et je militerais pour l’obtention d’un label propre.

Mais voilà, on l’aime bien. Après tout, c’est un pote de jeunesse, on a fait un bout de chemin ensembles, on s’est habitués. Alors on lui trouve des excuses. Son milieu, son époque justement. Pas de parents, tout juste une patrie, qu’il embrasse fougueusement dans sa jeunesse. Ensuite, quand il monte à Paris et fait carrière sur la scène hexagonale, il sera contraint de ruser et de faire oublier autant que possible ses origines de ketje bruxellois. Il polit son style, se civilise. Les mauvais ont perdu la guerre, il est temps de devenir réaliste et de se mettre au travail sérieusement. Finies les gamineries, l’âge de raison est arrivé, et on sait de quel côté la tartine est beurrée.

Et aussi il faut dire qu’il s’est bien amendé avec le temps. Jamais un mot plus haut que l’autre, toujours pondéré, toujours conciliant. Au point d’en devenir emmerdant. Heureusement qu’il se coltine toujours sa ménagerie de lunatiques : Haddock tonitruant et alcoolique, Milou habituellement diligent mais tourmenté par les démons de la chair, comestible ou non, Tournesol autistement génial, quoiqu’en butte ici et là à quelques accès de rage clastique, et les dupondt, cons comme la lune et fidèles comme la pluie. Quelques personnages secondaires et récurrents complètent l’assaisonnement, quoique les méchants soient plutôt prévisibles dans leur rôle de méchant, et ne pèsent pas vraiment dans notre capital sympathie.

Pas de femmes évidemment. L’époque, toujours l’époque. Scout catholique, c’est plutôt sacerdoce et compagnie. Les enfants ont déjà assez de mal à endiguer la marée montante, que dis-je le tsunami de leur libido, pour qu’on les incite en sus à imaginer des choses lascives avec des personnages de papier. Jacobs, compagnon d’arme de Hergé, se souvient des déboires que lui ont occasionné une paire de guiboles anecdotiques dans un coin de vignette de sa marque jaune.

Donc Tintin, plutôt asexué, condamné à quelques amitiés électives avec des adolescents de son âge, qu’il rencontre généralement en leur sauvant la vie ou les tirant d’un mauvais pas (Chang, mais aussi Zorrino dans le temple du soleil). Hélas, une fois de plus, les gens vont jaser. Est-ce si difficile de garder l’esprit chaste et pur ? Devons nous vraiment n’être que des bêtes lubriques pour convaincre de notre sincérité ?

Enfin la fatwa s’est enrayée. Après tout, ça fait une paye que Tintin a arrêté de tenir, du haut de sa belgitude triomphante, des propos sarcastiques sur les pays qu’il traverse : la malheureuse URSS balbutiante, le Congo de papy bwana, mais aussi l’Amérique des gangsters et du lynchage, les républiques bananières du continent sud Américain. La rédemption est venue de l’Orient : Chine, Tibet, Arabie ont adouci le choc des civilisations. Bref Tintin a grandi, Tintin s’est assagi, Tintin s’est rassi (comme le pain, tiens).

Car je l’aimais bien moi, le sale gosse turbulent et querelleur, qui glissait des peaux de bananes sous les pieds des bolcheviks assassins et passait le parc national du Congo à la chevrotine. Pas que ce soit mon fantasme, j’ai le coeur à gauche et j’apprécie l’action de madame Bardot. Non, mais comme disait un éducateur de ma connaissance, c’est toujours les plus turbulents auxquels on s’attache.

Messieurs les jurés, Madame le Juge, Cher Public, aurez vous encore à coeur de poursuivre un jeune homme qui a su évoluer, grandir, faire taire les préjugé de sa caste pour ouvrir son regard et ses bras sur le monde, épouser la cause des hommes, des humiliés, des offensés ? Que ne l’avons encore avec nous aujourd’hui pour nous épauler, que dis-je, nous guider face aux défis de notre temps, nous sauver du capitalisme sauvage, traquer les escrocs de la finance, renverser les dictateurs médiatiques. Comme sa lumière nous manque alors que les ténèbres nous étreignent et nous enserrent. Doit on juger un homme sur sa jeunesse, ou sur l’accomplissement de son destin ? Non, Messieurs, Madame, Cher Public. Vous n’aurez pas à coeur de le condamner encore et toujours. Donnez lui l’absolution des hommes. Qu’ils reposent en paix, lui, ses amis et leur auteur.

 

 


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès