Nous préférons la Pauvreté dans la Liberté á la Richesse dans l’esclavage.
Ce
qui est vrai pour l’Homme l’est autant pour les sociétés et les
peuples. C’est ce souci de Dignité, cet impérieux besoin de Liberté qui
devait susciter aux heures sombres de la France les actes les plus
nobles, les sacrifices les plus grands et les plus beaux traits de
courage. La Liberté, c’est le privilège de tout homme, le droit naturel
de toute société ou de tout peuple, la base sur laquelle les Etats
Africains s’associeront à la République Francaise et à d’autres Etats
pour le développement de leurs valeurs et de leurs richesses communes.
Monsieur le Président, ous me permettrez de rappeler un passage du
discours que j’ai prononcé à l’occasion de la visite récente d’un
Représentant du Gouvernement Français, M. Gérard Jaquet, ancien Ministre
de la France d’Outre-Mer.
Notre option fondarnentale qui, à elle
seule, conditionne les différents choix que nous allons effectuer,
réside dans la décolonisation intégrale de l’Afrique : ses hommes, son
économie, son organisation administrative, et, en vue de bâtir une
Communauté Franco-Africaine solide et dont la pérennité sera d’autant
plus garantie qu’elle n’aura plus dans son sein des phénomènes
d’injustice, de discrimination ou toute cause de dépersonnalisation et
d’indignité. En effet, le monde évolue rapidement et les impératifs de
la vie moderne posent avec brutalité le problème du choix entre la
stagnation et le progrès, entre la division des peuples et leur union
fraternelle, entre l’esclavage et la liberté, enfin entre la guerre et
la paix.
Pour l’Afrique Noire d’influence française, ces
problèmes doivent être abordés avant tout avec un esprit réaliste,
compréhensif. Notre coeur, notre raison, en plus de nos intérêts les
plus évidents, nous font choisir, sans hésitation, l’interdépendance et
la liberté dans cette union, plutôt que de nous définir sans la France
et contre la France. Et c’est en raison de cette orientation politique
que nos exigences doivent être toutes connues pour que leur discussion
soit facilitée au maximum. D’aucuns en parlant des rapports
franco-africains situent leur raisonnement dans le domaine économique et
social exclusivement, et concluent fatalement, compte tenu du grand
retard des pays sous-développés d’Afrique, par l’apologie de l’action
coloniale de la France. Ces hommes oublient qu’au-dessus de l’économique
et du social il y a une valeur autrement plus importante, qui oriente
et détermine le plus souvent l’action des homrnes d’Afrique ; cette
valeur supérieure réside essentiellement dans la Conscience qu’apportent
les hommes d’Afrique à la lutte politique, tendant à sauvegarder leur
Dignité et leur Originalité et libérer totalement leur Personnalité.
La Guinée n’est pas seulement cette entité géographique que les hasards
de l’Histoire ont délimitée suivant les données de sa colonisation par
la France, c’est aussi une part vive de l’Afrique, un morceau de ce
continent qui palpite, sent, agit et pense à la mesure de son destin
singulier. Mais aussi vaste que soit notre ère d’investigation, aussi
étendu que soit notre champ d’action, cela est insuffisant en regard de
nos propres exgences d’évolution. Pour y répondre, nous devrons engager
non seulement l’ensemble de nos potentialités propres, mais encore tout
ce qui constitue les biens et les connaissances universels, lesquels
chaque jour se développent et s’accroissent de manière inappréciable.
A
travers le désordre moral dû au fait colonial et à travers les
contradictions profondes qui divisent le monde, nous devons taire les
pensées idéales afin de serrer au plus près les possibilités réelles,
les moyens efficaces et imrnédiatement utilisables ; nous devons nous
préoccuper des conditions exactes de nos populations afin de leur
apporter les éléments d’une indispensable évolution, sans laquelle le
mieux-être qu’elles prétendent légitimement obtenir ne pourrait être
créé. Si nous ne nous employions pas à cette tâche, nous n’aurions
aucune raison de vouloir remplir les fonctions dont nous avons la
charge, aucun droit à la confiance de nos populations. C’est parce que
nous nous interdisons de confisquer à notre profit la souveraineté des
populations guinéennes, que nous devons vous dire sans détour, Monsieur
le Président du Conseil, les exigences de ces populations pour qu’avec
elles, soient recherchées les voies les meilleures de leur Emancipation
totale.
Le privilège d’un peuple pauvre est que le risque que
courent ses entreprises est mince, et les dangers qu’il encourt sont
moindres. Le pauvre ne peut prétendre qu’à s’enrichir et rien n’est plus
naturel que de vouloir effacer toutes les inégalités et toutes les
injustices.
Ce besoin d’égalité et de justice nous le portons
d’autant plus profondément en nous, que nous avons été plus durement
soumis à l’injustice et à l’inégalité. L’analyse logique et une
connaissance de plus en plus grande de nos valeurs particulières, de nos
moyens potentiels, de nos possibilités réelles nous laissent cependant
exempts de tout complexe et de toute crainte : nous sommes uniquement
préoccupés de notre avenir et soucieux du bonheur de notre peuple. Ce
bonheur peut revêtir des aspects multiples et des caractéristiques
diverses selon la nature de nos aspirations, de nos désirs, selon notre
état propre ; il peut être aussi bien une chose unique qu’un faisceau de
mille choses, toutes également indispensables à sa réalisaton.
Nous
avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre
Dignité. Or, il n’y a pas de Dignité sans Liberté, car tout
assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur
qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d’Homme et en fait
arbitrairement un être inférieur.
La valeur de ce peuple, Monsieur le Président, vous la connaissez sans
doute mieux que nul autre, pour en avoir été juge et témoin aux heures
les plus difficiles que la France ait jamais connues. Cette période
exceptionnelle à l’issue de laquelle la liberté devait resurgir avec un
éclat nouveau, une force décuplée, est marquée par l’homme d’Afrique
d’une manière toute particulière, puisqu’il a, au cours de la dernière
guerre mondiale, rallié, sans justification apparente, la cause de la
Liberté des peuples et de la Dignité Humaine.
A travers les
vicissitudes de l’Histoire chaque peuple s’achemine vers ses propres
lumières, agit selon ses caractéristiques particulières et en fonction
de ses principales aspirations sans qu’apparaissent nécessairement les
mobiIes réels qui le font agir. Notre esprit, pourtant rompu à la
logique implacable des moyens et des fins, ainsi qu’aux dures
disciplines des réalités quotidiennes, est constamment attiré par les
grandes nécessités de l’Elévation et de l’Emancipation Humaines.
L’épanouissement des valeurs de l’Afrique est freiné, moins à cause de
ceux qui les ont façonnées, qu’à cause des structures économiques et
politiques héritées du réginne colonial en désequilibre avec ses
aspirations d’avenir.
C’est pourquoi nous voulons corriger, non
par des réformes timides et partielles, mais fondamentalement, ces
structures afin que le mouvement de nos sociétés suive la ligne
ascendante d’une constante évolution, d’un perpétuel perfectionnement.
Le
Progrès est en effet une création continue, un développernent
ininterrompu vers le Mieux, pour le Meilleur. Etape après étape, les
sociétés et les peuples élargissent et consolident leur droit au
bonheur, leurs titres de dignité, et développent leur contribution au
Patrimoine économique et culturel du monde entier. L’Afrique Noire n’est
pas différente en cela de toute autre société ou de tout autre peuple.
Selon nos voies propres, nous entendons nous acheminer vers notre
bonheur et cela avec d’autant plus de volonté et de détermination que
nous connaissons la longueur du chemin gue nous avons à parcourir.
Entièrement d´accord avec vous lorsque vous écrivez ceci « chaque peuple DOIT pouvoir décider lui-même de sa destinée, de ses lois, de sa façon de fonctionner en société ».
Sékou Touré de Guinée l´avait dit á Conakry á De Gaule le 25 Août 1958.
De Gaule avec ses membres du Cabinet concocte en France sans demander l´avis des africains un Accord de Coopération Franco-Africain, et dans ce Traité, c´est la France qui contrôlera tout dans ses colonies en Afrique, bref une sorte de néocolonisation.
En été 1958 De Gaule vient en Afrique et parcourt ses colonies « proposer » cet Accord de Coopération. Partout oú il passe, les marionnettes placées au pouvoir par le colon, signent cet Accord de Coopération. Continuant son chemin, De Gaule arrive en Guinée ce jour du 25 Août 1958, il sera très bien accueillit.
Dans son Discours un jeune Syndicaliste Sékou Touré âgé de 36 ans Président du Conseil de Gouvernement et Député Maire de Conakry, prononce un Discours resté mémorable.
Discours de Sékou Touré Président du Conseil de Gouvernement
Député-maire de Conakry
Monsieur le Président du Gouvernement de la République Française,
Dans
la vie des Nations et des Peuples, il y a des instants qui semblent
déterminer une part décisive de leur Destin ou qui, en tout cas,
s’inscrivent au registre de I’Histoire en lettres capitales autour
desquelles les legendes s’édifient, marquant de manière particulière au
graphique de la difficile évolution humaine, les points culminants, les
sommets qui expriment autant de victoires de l’Homme sur lui-même,
autant de conquêtes de la Société sur le milieu naturel qui l’entoure.
Monsieur le Président, vous venez en afrique précédé du double privilège
d’appartenir à une légende glorieuse qui magnifie la Victoire de la
Liberté sur l’asservissement et d’être Ie premier Chef du Gouvernement
de la République Française à fouler le sol de Guinée.
Votre présence parmi nous symbolise non seulement la « Résistance » qui a
vu le triomphe de la Raison sur la force, la Victoire du Bien sur le
mal, mais elle représente aussi, et je puis même dire surtout, un
nouveau stade, une autre période décisive, une nouvelle phase
d’évolution. Comment le peuple africain ne serait-il pas sensible à ces
augures, lui qui vit quotidiennement dans l’espoir de voir sa dignité
reconnue, et renforce de plus en plus sa volonté d’étre égal aux
meilleurs ?