Les apprentis journalistes

La Loupe est le podcast quotidien de l'Express. Le journal se présente comme "Rationnel et exigeant depuis 70 ans", sans que l'on sache si ce slogan sert uniquement à vendre du contenu payant, ou s'il s'applique aussi aux productions sonores comme celle de La Loupe.

Pour le savoir, nous allons en étudier l'épisode du 5 avril 2023, consacré à la critique du livre Les apprentis sorciers d'Alexandra Henrion Caude. Au micro, l'animateur Xavier Yvon nous propose ni plus ni moins qu'un kit de survie contre ce livre, tant il est vrai que la plume est une arme, très dangereuse de surcroit.

Mais la loupe est-elle l'outil le plus adapté pour voir ce qu'il y a de dangereux, de potentiellement mortel dans des caractères écrits sur du papier ? Pas sûr.

Heureusement, Xavier Yvon dispose d'un autre outil, beaucoup plus adapté, le vérificateur de la Loupe. C'est une sorte de détecteur de mensonge sonore. Vous le placez devant un texte écrit, et hop, il sonne faux dès qu'il trouve une inexactitude, voire un mensonge. Super. Il va donc suffire de faire fonctionner la machine sur Les apprentis sorciers, pour que les auditeurs soient fixés quant-au crédit que l'on peut accorder à l'ouvrage de la généticienne.

Le présentateur se dit qu'il a bien fait de préparer la machine, il la met en place, il l'allume. Puis l'éteint.

Pourquoi ? Parce que Stéphanie Benz, cheffe du service Sciences de L'Express, le lui a suggéré. En effet, cette dernière est catégorique. Elle sait, que les apprentis sorciers sont truffés de contre-vérités. Il y en a dans tous les chapîtres, pratiquement à toutes les pages. Il est donc inutile de faire usage d'un outil fiable pour s'en assurer.

D'autant plus qu'elle a beaucoup mieux. Elle a une parole d'autorité, celle du Président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale du Gouvernement, j'ai nommé le Professeur Alain Fischer. Elle a parlé avec lui, et il lui a dévoilé que les infox au sujet de la science "sont souvent promues par des scientifiques eux-même".

Et c'est tout. On pouvait s'attendre à ce qu'il explique ce qui cloche dans les apprentis sorciers. Que du haut de sa science, il fonde tel un aigle sur les passages ou les concepts s'écartant ne serait-ce qu'un peu de la rationnalité, ou des résultats expérimentaux reconnus par la communauté.

Mais non, il faudra revenir.

Alors bien consciente de ces limites, Stéphanie Benz va changer de stratégie. Elle va tenter de prouver scientifiquement la supercherie des apprentis sorciers, en mettant en évidence la nocivité de ses ingrédients.

Elle commence par se plaindre, que les sources du livre sont sous forme d'URL, et pas comme d'habitude avec juste un nom et une référence.

Ce qu'elle ne voit pas, c'est que le public cible des apprentis sorciers n'est pas constitué uniquement d'immunologues et de journalistes. Pour des raisons économiques évidentes, l'éditeur Albin Michel vise un public plus large.

Plus large, oui, mais exigeant.

Donc oui, les lecteurs des apprentis sorciers ne veulent pas croire son auteure sur parole, ils veulent pouvoir vérifier par eux-même les sources sur lesquelles elle base son raisonnement. Vu que la plupart a accès à l'Internet libre et pas aux bibliothèques spécialisées, les sources du livre sont sur Internet.

D'autre part, si par aventure une source se rétractait, l'autorité qui l'héberge pourrait invalider la page, et le lecteur souhaitant la contrôler serait instantanément au courant. Voilà pour le côté pratique.

D'un point de vue théorique, la démonstration de Stéphanie Benz souffre du fait qu'elle utilise des arguments contradictoires. À ses yeux, et selon la minute à laquelle on l'interroge, tantôt c'est le nombre des sources qui prévaut, tantôt c'est leur qualité.

C'est pourquoi, sous le feu des questions rationnelles de Xavier, la responsable au rayon sciences et santé de L'Express est bien obligée de reconnaitre l'échec de son entreprise. Aucun kit de survie n'y fera rien : les apprentis sorciers est un livre tueur, on ne peut pas le lire seul.