Ne comptons pas sur le Conseil Constitutionnel : déclarons la grève générale
Les vendredis 14 portent-ils bonheur au peuple ? Nous le saurons dans quelques jours. Appelé à se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi sur la réforme des retraites, le Conseil Constitutionnel rendra sa décision ce vendredi 14 avril. Adopté en force à l'Assemblée, puis voté par le Sénat, le texte traverse l'avant-dernière étape de la procédure législative : le contrôle de constitutionnalité sur le fond et la procédure, après quoi, en cas de validation, il pourra être promulgué au Journal Officiel par le Président de la République.
Les opposants à cette loi attendent la décision des Sages comme les fidèles romains guettent la fumée blanche pendant un conclave. Il est certes théoriquement impossible de prédire avec certitude la décision du Conseil Constitutionnel, sauf à supposer que celui-ci ne soit pas un organe indépendant et qu'il serve uniquement de caution juridique au pouvoir exécutif… Se pencher sur la composition de cette Cour Suprême à la française et d'en dégager des tendances générales permet néanmoins d'émettre des prévisions raisonnables quant à leur prochaine décision.
Le premier fait remarquable est l'absence de constitutionnalistes parmi les neuf Sages. Aucun n'a étudié le droit constitutionnel en tant que tel. Aucun professeur, maître de conférence ou docteur dans cette branche du droit. Le membre qui apparaît le plus qualifié pour ces fonctions au regard du bagage universitaire est Mme Corinne Luquiens, titulaire d'un DESS (ancien diplôme de niveau Bac + 5) en droit public. Plus étonnant encore : cinq des neuf juges ne sont pas même juristes de formation. Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel, est agrégé de lettres et administrateur civil, exactement comme Alain Juppé : les deux hommes partagent en outre d'avoir exercé la fonction de premier ministre. François Seners et Michel Pinault sont également diplômés de l'ENA, après avoir respectivement étudié les sciences politiques et le commerce. Jacqueline Gourault, enfin, est une ancienne professeur d'histoire-géographie devenue par la suite sénatrice et ministre.
La logique qui préside aux nominations dans ce cénacle semble faire primer l'expérience pratique sur les compétences validées par un parcours universitaire, ce qui expliquerait le grand nombre de politiciens et de haut-fonctionnaires par rapport aux juristes.
Alors que pour travailler comme professeur au collège il est nécessaire d'être titulaire d'un master et de passer ensuite le concours de certifié ; que pour exercer comme avocat il est requis d'avoir validé un parcours juridique de cinq ans suivi d'une formation sélective à l'école du barreau ; qu'être un simple secrétaire d'ambassade exige d'avoir un master et de passer le concours du Quai d'Orsay puis une formation à l'Institut Diplomatique et Consulaire ; la fonction de juge constitutionnel semble être la seule que des compétences acquises "sur le tas", et sans contrôle aucun, permettent d'exercer. Les nominations, faites par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat (chacun nommant trois membres) ne sont par ailleurs soumises qu'au vote des commissions permanentes des deux chambres et non à celui de l'ensemble du Parlement.
L'on observe en outre que les membres du Conseil, surtout ceux issus du monde politique, ont pour point commun d'avoir appartenu aux partis dits "classiques" et de tendre vers un certain consensualisme. Les politiciens apparentés aux mouvements "populistes", de gauche comme de droite, sont soigneusement tenus à l'écart depuis la création de cette institution en 1958. Il est en vérité bien peu de divergences de vues entre un Laurent Fabius social-libéral et un Alain Juppé "libéral social", comme il s'est lui-même décrit. Quant à Jacqueline Gourault et Jacques Mézard, ce ne sont autres que deux anciens ministres d'Emmanuel Macron.
Sur le fond, l'étude des décisions passées des Sages permet de dégager une tendance générale à une intervention minimaliste du juge constitutionnel dans la procédure législative et à la validation quasi-systématique des textes qui leur sont soumis, qu'il s'agisse de lois adoptées par les chambres législatives ou de décrets présidentiels. Et si certains articles trop manifestement inconstitutionnels peuvent être censurés (comme ce fut le cas pour l' "interdiction administrative de manifester" en 2019 et l'interdiction de filmer les policiers en 2021), il est extrêmement rare qu'un texte dans son ensemble soit rejeté pour non-conformité à la Constitution.
Ainsi, le Conseil Constitutionnel a validé dès mai 2020 la loi instaurant l'état d'urgence sanitaire et partant le confinement. Le mois suivant, il devait confirmer le caractère délictueux du non-respect du confinement. Le 21 janvier 2022, le passe vaccinal était à son tour validé par les Sages. Et le lendemain, c'est la surveillance des masses par des drones policiers qui devait être déclarée conforme à la Constitution. Cet échantillon succinct donne un aperçu du conformisme dont le Conseil Constitutionnel a tendance à faire preuve face aux lois adoptées. Cela tient, en partie, à la nature même de l'institution, créée par la Constitution de 1958 pour créer un contre-pouvoir au Parlement. Sous la présidence de De Gaulle, et jusqu'aux années 1970, les compétences du Conseil étaient très limitées et le recours à leur avis n'était pas systématique, le Général craignant de voir émerger un "gouvernement des juges" à l'américaine. Ce n'est que progressivement, à partir de 1971, que l'institution a étendu son pouvoir de jurisprudence et que le contrôle de constitutionnalité est devenue la norme. Pour autant, la politique de la maison a toujours consisté à ne pas trop gêner le pouvoir en place.
Le Conseil Constitutionnel va-t-il invalider la réforme des retraites ? En vérité, le faisceau d'indices permet d'en douter raisonnablement. Si quelques articles peuvent être "retoqués", il est fort à parier que le recul de la bien nommée borne d'âge, soit la source principale de la contestation populaire, ne soit pas censuré.
Le grand défaut des oppositions françaises, quelle que soit leur couleur politique, est leur juridisme et leur naïve confiance dans les institutions, considérées comme démocratiques et indépendantes. Cela explique l'espoir quasi-messianique que syndicats et partis d'opposition placent dans la décision des Sages, comme si ceux-ci étaient en dehors du Système. Jusqu'au bout, les partisans de la Manif Pour Tous avaient ainsi cru (ou fait semblant de croire) que le Conseil Constitutionnel allait invalider la loi Taubira. Et en
Ce n'est donc pas sur des juges constitutionnels issus du Système que le peuple devrait compter pour lui rendre justice, mais sur sa propre force. Paralyser le pays par une grève générale et le rendre ingouvernable est le seul moyen de faire reculer Macron en le mettant devant le fait accompli : l'impossibilité politique de faire passer sa loi. Les rares fois où le peuple a fait reculer le Gouvernement, c'est toujours par la politique du fait accompli et non par le droit (qui est fait par les puissants pour se maintenir en place). C'est mai 68 qui a contribué, un an plus tard, au départ de De Gaulle. C'est la rue qui a fait reculer Juppé en 1995 sur les retraites (déjà…) et c'est encore la mobilisation constante de la jeunesse qui a contraint le Gouvernement De Villepin d'abandonner sa loi sur le CPE en 2006.
La Vème République ne laisse que peu de pouvoir politique au peuple, sinon celui de s'élire un roi absolu tous les cinq ans. Mais le pouvoir réel, celui de l'état de fait, est toujours entre nos mains. Il suffit que le peuple s'entende et mette de côté les querelles politiques ou corporatistes, qu'ouvriers, étudiants, fonctionnaires, professions libérales, entrepreneurs, chômeurs et retraités descendent dans la rue et paralysent le pays pour que le pouvoir recule. En effet, ce n'est pas avec des manifestations gentillettes hebdomadaires que l'on y parviendra, mais par un blocage sur la longue durée des rouages économiques et administratifs du pays. Les racailles d'en haut ont cela de commun avec celles d'en bas qu'elles ne comprennent que le rapport de force. Sans violence, mais avec fermeté, nous pouvons exercer une pression suffisante sur l'Etat pour obtenir gain de cause.
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON