L’eau, une ressource naturelle en très grand danger qu’il faut défendre et protéger

Le 07/12/2020, l’eau entrait en bourse à Chicago annonçant un marché à terme pour la Californie, un précédent qui n’augure rien de bon pour la planète. L’eau devient ainsi une marchandise, un objet de spéculation que l’on peut s’accaparer, vendre ou acheter et non plus une ressource indispensable au monde du vivant : un bien commun.

En France, la loi du trois janvier 1992 précise « L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. L’usage de l’eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis. ». La loi de 2006 quant à elle introduit le « droit à l’eau ». Les priorités pour l’utilisation de l’eau sont : accès eau potable, préservation des milieux naturels, eau économique (industrie, agriculture…).

L’eau est vitale pour tous les êtres humains, pour le vivant et pour l’agriculture mais la question est : pour quel type d’agriculture ? Le changement climatique, les sécheresses de ces dernières années et celle qui a commencé dés cet hiver devraient éclairer les dirigeants sur les politiques agricoles à mener, mais ce n’est pas le cas. Depuis trente ans, les lois sur l’eau ne sont plus respectées, en France l’eau n’est pas cotée en bourse mais in fine elle devient « la propriété » de l’agro-industrie (ensemble des industries en rapport avec l’agriculture – appareillage, engrais, agroalimentaire, etc. – et des activités industrielles de transformation des produits d’origine agricole) passée de fait, dans les priorités, devant la préservation du vivant.

Face aux sécheresses à répétition et au changement climatique, l’agro-industrie financée par l’État n’a rien trouvé de mieux que de creuser des « trous », bassines/méga-bassines appeler officiellement « retenues de substitution » pour continuer à irriguer les cultures intensives, modèle agricole mortifère. Dans certains pays, les effets aggravants de ce type d’irrigation sont déjà bien visibles.

Les méga-bassines ne sont pas alimentées par l’eau de pluie. Ces « trous » gigantesques sur des terres agricoles, mesurant 8 hectares en moyenne (équivalant à une dizaine de terrains de foot), pouvant aller jusqu’à 18 hectares pour les plus grands, plastifiés, entourés de digues d’une hauteur de 10 mètres en moyenne, pompent de la bonne eau en hiver, provenant des nappes phréatiques et des cours d’eau.

L’eau pompée assèche les sols et les cours d’eau, détruit la biodiversité, brise le cycle naturel du renouvellement des ressources naturelles. Il faut au contraire que l’eau s’infiltre dans le sol pour favoriser la création de zones humides qui auront par la suite le rôle d’éponges. Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques, fils de paysan, explique « dès lors que l’eau est en surface, elle stagne et s’évapore. ». Il estime la perte entre 20 et 60 %. « La qualité de cette eau stagnante est également un problème car elle subit un phénomène d’eutrophisation, avec l’apparition de bactéries et de micro-algues. Cette idée de retenues d’eau est donc un non-sens ».

En 2022 par manque d’eau, 340 communes ont été ravitaillées en eau par camions-citernes et 200 avec des bouteilles d’eau.

La Nouvelle-Aquitaine, le Pays de la Loire, le Centre et la Bretagne concentrent ces méga-bassines, répertoriées en quatre catégories par le mouvement Les Soulèvements de la Terre pour alerter, informer et agir, de celles déjà construites au projet en cours, à venir ou illégales. Depuis plusieurs années, les luttent s’intensifient sur ces territoires pour protéger et empêcher l’agro-industrie de s’accaparer cette ressource naturelle, ce bien commun par la désobéissance civile, les recours juridiques (tous les recours portés contre les arrêtés préfectoraux ont été gagnés), manifestations, le désamorçage des pompes etc.

L’agriculture pluviale, sans irrigation correspond à 94 % de la SAU (surface agricole utile : somme des surfaces des champs comprenant des terres labourables, des surfaces toujours en herbe, des cultures permanentes, vignes, vergers… ou des cultures maraîchères) ; quant à l’irrigation, elle concerne 7,3 % de la SAU (données pour 2020 contre 5,8 % en 2010), une minorité d’exploitations.

Cette eau de stockage profite à peu d’exploitants, environ 6 % produisant principalement des monocultures céréalières, notamment du maïs qui représente 41 % des cultures irriguées, en priorité destinées à l’agro-industrie et pour l’alimentation d’élevage industriel, pendant que l’ensemble de la population, paysannes-paysans y compris, subit le manque d’eau et les arrêtés préfectoraux limitant son utilisation. Certaines de ces cultures arrosées termineront leurs courses dans un méthaniseur pour en faire de l’énergie, source de pollution pour l’être humain et l’environnement.

Ce modèle intensif d’agro-industrie inadapté au changement climatique, aux sécheresses à répétitions, développé et promu par la puissante FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) exporte la moitié des céréales produites dans le pays. Uniquement 11 % sont pour notre alimentation. L’argument de la souveraineté alimentaire invoqué par les défenseurs de l’agro-industrie ne tient pas la route.

Le futur président de la FNSEA, businessman de l’agro-industrie, patron d’une société agro-industrielle spécialisée dans l’alimentation humaine et animale, dans l’énergie et la chimie renouvelable et exploitant d’un domaine familial de 700 hectares est le premier défenseur des méga-bassines. Il prône le développement de nouvelles formes d’OGM (organisme génétiquement modifié), tout en s’opposant à l’interdiction des pesticides. Sa politique : une « agriculture offensive » que l’on pourrait qualifier « d’agressive » avec la volonté de peser de tout le poids de l’agro-industrie sur les pouvoirs publics.

Les méga-bassines, subventionnées à 70 % par l’État et les Agences de l’eau, établissements publics de l’État, financées en autre par une taxe prélevée sur chacune de nos factures d’eau, profitent à une très petite minorité d’agriculteurs. Se rajoute à ces subventions des fonds européens. Il restera à la charge des agriculteurs bénéficiaires une petite partie de la facture.

Elles jouent aussi un rôle dans la spéculation de la terre par l’augmentation du prix du foncier empêchant ainsi les petites fermes, les jeunes agricultrices-agriculteurs de s’installer. Plus les bassines sont grandes plus elles accaparent une même ressource pour peu de personnes à un même endroit au détriment de l’agriculture locale et de proximité. L’argent public finance l’agro-industrie !

Pour l’année 2016, 24 % des céréales cultivées en Europe étaient pour nourrir directement les humains. Autre chiffre édifiant, plus de 71 % des terres agricoles de l’Union européenne sont utilisées pour alimenter le bétail. Il devient indispensable de réduire fortement la production de viande pour donner la possibilité à un élevage respectueux du vivant de trouver sa place et stopper la destruction des ressources naturelles au profit du rendement.

La bonne eau captée dans les méga-bassines et utilisée pour irriguer ces cultures intensives très vorace en engrais chimiques et en pesticides pour plus de rendement, retourne à la terre en étant polluée par tous ces intrants chimiques qui ainsi polluent les nappes phréatiques, détruisent la bio diversité et contaminent l’eau que nous buvons. Double peine pour la population, nous finançons la construction des méga-bassines et la dépollution de l’eau créée par l’agro-industrie.

L‘Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient de publier un rapport qui alerte sur une immense contamination de l’eau de nos robinets, donc celle que nous buvons, par des composés chimiques peu ou pas recherchés lors des contrôles réguliers. Cette enquête démontre que certains résidus de pesticides peuvent rester présents plusieurs années dans l’environnement après l’interdiction de la substance active dont ils proviennent. Il a été constaté le dépassement des limites autorisées pour certains de ces composés.

Il n’est pas possible de parler des méga-bassines sans évoquer ce qui s’est passé le samedi 25 mars à Sainte-Soline (région Nouvelle-Aquitaine), les Soulèvements de la terre, Bassines Non-Merci et la Confédération Paysanne organisaient un grand rassemblement sur un weekend soutenu par des dizaines d’autres organisations, avec des délégations venant de l’étranger. Ce rassemblement a été interdit par la préfecture. Le maire de Melle a ouvert les portes de la ville (situé à 20 km de Sainte-Soline) pour l’accueil des conférences, des tables rondes, des cantines solidaires, etc. Ce samedi matin, 30 000 personnes, paysans-paysannes, syndicalistes, militant-e-s, écologistes se sont dirigées en trois cortèges vers le terrain où se situe la méga-bassine en construction. Un déferlement de violence les y attendait.

Extrait du communiqué de l’interobservatoires, dont la LDH (Ligue des Droits de l’Homme) est membre : six équipes d’observateur-ices étaient présentes sur le terrain de la manifestation le samedi 25 mars.

  • Dès le départ des cortèges depuis Vanzay jusqu’à leur retour, ceux-ci ont été surveillés de manière constante par un à deux hélicoptères.
  • Avant l’arrivée des manifestant-e-s sur le site de la bassine de Sainte-Soline, des binômes de gendarmes armés et coiffés de casque de moto, montés sur 20 quads, sont venus à leur contact. Les cortèges ont dès lors fait l’objet de tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, créant une mise en tension importante.
  • Dès l‘arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes leur ont tiré dessus avec des armes relevant des matériels de guerre : tirs de grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes, grenades explosives de type GM2L et GENL, y compris des tirs de LBD 40. Nous avons observé des tirs au LBD 40 depuis les quads en mouvement.
  • A été également observé l’usage de deux canons à eau. Par ailleurs, nous avons observé la présence de fusils (FAMAS) ainsi qu’au moins un fusil à type produit marquant codé EMEK EMF 100, PMC.
  • Le dispositif a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place, occasionnant de très nombreuses blessures souvent graves allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues.
  • Lorsque les élu-e-s ont fait une chaîne humaine autour des blessé-e-s pour les protéger et permettre leur évacuation, des tirs de grenades lacrymogènes ont été observés dans leur direction, les contraignant à reculer. À ce moment, en contradiction avec ce que prétend la préfète des Deux-Sèvres, rien ne justifiait l’utilisation de la force à l’encontre de ces personnes. En particulier, nous n’avons observé aucun tir d’engin incendiaire au niveau de cette zone.
  • Nous avons constaté plusieurs cas d’entraves par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers. Le Samu a indiqué ne pouvoir intervenir pour secourir un blessé en état d’urgence vitale dès lors que le commandement avait donné l’ordre de ne pas le faire, dans une conversation téléphonique à laquelle ont assisté trois avocats de la LDH (Ligue des droits de l’Homme). Or, nous avons observé que la zone où se trouvait ce blessé était totalement calme depuis plusieurs dizaines de minutes, lorsque cette indication a été donnée. Cette zone se situait à 200 mètres au nord-ouest du dispositif de gendarmerie entourant la bassine et à 500 mètres de l’ensemble des manifestants.
  • Comme souvent, les forces de l’ordre étaient difficilement identifiables. Nous avons constaté la dissimulation de visages par des cagoules, combinée à l’absence de RIO visibles.
  • En amont des observations, le 22 mars 2023, la préfète des Deux-Sèvres avait notifié à la LDH que les observateurs et observatrices présentes sur les lieux seraient assimilées à des personnes manifestantes et devraient se conformer aux ordres de dispersion, leur déniant la protection que leur reconnaît le droit international et en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État. Le matériel d’observation d’une équipe a été confisqué.
  • De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain.

Toutes les preuves sont là pour démontrer la violence exacerbée des forces de l’ordre. Atteint d’un déni « pathologique », le ministre de l’Intérieur continue de nier les faits et se dit même « fier de la façon dont les gendarmes se sont comportés ». Le 29 mars, il a lancé une procédure de dissolution des Soulèvements de la terre. On ne dissout pas un mouvement social ! Depuis les soutiens arrivent de l’international. Mais le ministre de l’Intérieur ne s’arrête pas là, il pointe du doigt La Ligue des Droits de l’Homme et de façon à peine dissimulée, les menace de supprimer leurs subventions.

Dans la foulée, il annonce également la création d’une cellule « anti-ZAD » (zones à défendre), derrière ce mot nous pouvons entendre « luttes locales ». Le Président Macron, via son ministre de l’Intérieur, veut éradiquer toute contestation. L’état français déclare la guerre aux militants environnementaux, les criminalise et les désigne comme ennemi public numéro un.

Les organisateurs ont recensés 200 blessé-e-s dont 40 graves, trois personnes dont les pronostics vitaux ont été engagés, l’une d’entre elles demeurant aujourd’hui dans le coma. Plusieurs dizaines de blessé.e.s graves ont du être transféré.e.s vers les hôpitaux, une dizaine dont les pronostics fonctionnels et esthétiques sont engagés. Trente mille manifestant.e.s ont subi la répression et les conséquences de celle-ci. Ce bilan lourd, d’une infinie tristesse, n’enlève rien ni à la détermination, ni à cette force commune partagée par toutes et tous d’être aussi source de joie.

L’eau ne coule pas par magie de nos robinets, elle n’est pas inépuisable, elle est l’affaire de toutes et tous. L’eau n’est pas une marchandise. Elle est nôtre, notre corps est essentiellement constitué d’eau. L’eau c’est la vie !

 

https://lessoulevementsdelaterre.org

https://bassinesnonmerci.fr/index.php/2023/03/31/notre-plan-eau-commun/

https://bassinesnonmerci.fr/wp-content/uploads/2022/08/PP-Amfis-avec-texte-VF.pdf

https://www.confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/4P-Bassines-web_BD-10-2021.pdf

https://mega-bassines.agirpourlenvironnement.org

https://lareleveetlapeste.fr/des-scientifiques-mettent-en-garde-sur-lepuisement-des-nappes-a-cause-des-megabassines/

https://www.greenpeace.fr/mega-bassines-pourquoi-opposer/

https://www.youtube.com/watch?v=LMJK2YZEa4M

https://reporterre.net/Au-Chili-les-megabassines-nefastes-depuis-35-ans

 

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Gabrielle Negrel
Militante pour la non-violence et les droits humains, Gabrielle Négrel, aide-soignante de formation, a été syndicaliste avant d'écrire pour Pressenza

 

Cet article de est initialement paru sur le site de notre partenaire Pressenza le 7 avril 2023.