Les vacances de monsieur Bulot - Pamphlet - n° 1
Bernadette et Maurice Bulot, mari et femme, projetaient de partir en villégiature à Carcassonne pendant les vacances de Pâques 2020. Madame Bulot, pas très enthousiaste pour le sud-ouest, manifestait une nette préférence pour le Limousin, mais Bulot insista tant qu’elle s’inclina. Bulot conduirait son Side-car, Bernadette n’aurait plus qu’à monter dans l’habitacle, enfiler son blouson et son casque, et, depuis Nice, leur lieu de résidence, se laisser conduire à petite vitesse, le long de la côte, le nez au vent, respirer les embruns du littoral niçois. Tous deux continueraient leur route tranquillement, jusqu’à Carcassonne !
Mais au grand désespoir du couple, éclata en Janvier 2020, l’épidémie de Coronavirus, et patatras voilà tous leurs projets pour les vacances pascales, foutus. Ma pau’v Bernadette, tu voulais voir Carcassonne, tu verras rien du tout ! se désespérait Maurice.
Affolement général, un virus horrible venait de pénétrer dans le pays, venant de la lointaine Chine. C’était paraît-il un virus d’origine animale transmis par le pangolin et la chauve-souris. C’est dire le drôle de virus, d’ailleurs même sa forme était bizarre : un petit ballon hérissé de mini ventouses en forme de couronne, destinées à se coller aux cellules et à vous sucer la substantifique moelle de votre organisme en se démultipliant dans votre corps pour vous faire calancher.
Les media, c’était de l’hystérie ! Une pandémie des plus gigantesques que la terre eût portée condamnait des millions d’humains à mourir de ce virus très envahissant, transmissible, contagieux, où le moindre postillon, même un regard appuyé pouvaient vous envoyer d’autor, chez St-Pierre ! Les media répétaient en boucle qu’il était mille fois plus méchant et tueur que la peste, le choléra et la myxomatose réunies et qu’ il causerait des ravages, comme la grippe espagnole après la guerre 14/18 ! Que le monde ne s’en relèverait pas et que plus rien ne serait comme avant ! Épouvante ! Horreur ! Désespoir ! Les Bulots se voyaient déjà raides morts dans leur caisse ! Arrière ! Tous aux abris !
Les humains, comparés à un troupeau, devaient donc écouter religieusement leurs bergers gouvernementaux ! Leurs guides suprêmes ! Leurs grands timoniers ! Leurs petits pères des peuples ! Leurs petits Généraux Tapioca à la tête d’une armée de médecins, de spécialistes, d’experts en expertitude, qui vous expliquaient tout ça, en long, en large, en travers, de biais, de face et d’angle, sur tous les plateaux TV, comme ça vous ne pouviez plus rien ignorer du Pangolin ou de la chauve souris aux yeux bridés, bien capables de vous contaminer, même avec… des baguettes ! Ces drôles d’animaux avaient traversé à pied toute la Chine pour venir pandémiser le monde entier ! Les experts en expertitude vous expliquaient cela avec des airs des plus sérieux et tragiques ! Toute la journée, jusqu’à extinction des feux !
Au tout début de Janvier 2020, la ministresse de la Santé en fonction, cornait au bon peuple, que pour l’instant il ne fallait pas s’inquiéter de Pangolin et Chauve-souris, ils n’étaient pas intéressés par la France. Les Bulots n’avaient rien à craindre, les zootorités avaient pris toutes les dispositions nécessaires ! Le Coronavirus c’était comme le nuage de Tchernobyl, il s’était arrêté aux frontières tricolores. Aussi, monsieur et madame Bulot, devant leur écran, regardaient d’un oeil distrait, la ministresse de la Santé de l’époque qui, au doigt mouillé, suivait le parcours de la chauve-souris et du pangolin, depuis une petite ville mandarine dénommée Wuhan.
Monsieur et madame Bulot n’en avaient jamais entendu parler, de cette ville de Wuhan, comme d’ailleurs la majorité des Français, hormis les rares spécialistes occidentaux de l’Empire du Milieu, particulièrement ceux qui sévissaient dans les laboratoires, y avaient établi leur base arrière, et nous concoctaient des petites potions magiques qu’ils nous resserviraient via intramusculaire. C’est dire si nous nagions en pleine nuit de Chine… Nuit câline… Que d’amour !
Quelques semaines seulement après que la ministresse de la Santé en question nous ait fait don de ses conseils si rassurants, le discours ministériel changea du tout au tout. Grand virage à 180 ° !
Finalement, Pangolin et Chauve-souris se dirent que Paris valait bien une messe… Celle du 20 heures !
Alors rappliquèrent tous les officiants des plateaux TV, qui, dans une communion totale se chargeaient de l’affolement général ! Ce fut une succession de petits dieux à petite tête et gros derche, pour commenter l’avancée de l’épidémie. Pendant qu’en direct des laboratoires, l’on continuait à préparer la grande opération mondiale de sauvetage, via la petite aiguille d’acier qui bien gentiment chatouille l’épiderme avant d’en libérer son contenu !
Les petits dieux des plateaux TV, rivalisaient entre eux de bagout pour effrayer le troupeau comme à l’approche d’un cyclone dévastateur. Les yeux agrandis par la peur générée par le prêchi prêcha sanitaire, les Bulots se tenaient bien entendu leur bras prêt pour l’offrande et la petite aiguille, comme tendent les mains, les fidèles, pour recevoir le pain béni consacré. O charité sans bornes !
Pain béni, c’est le cas de le dire, était cette pandémie pour les laborantins besogneux et médecins précautionneux qui obéissaient aux lois de la gravitation du tiroir-caisse !
A ce rythme là, des heures de prêche par les petits dieux à crâne d’oeuf, se multiplièrent envers la population. Effroi ! Épouvante ! Panique ! Rien ne manquait, pas une seule parole débitée sur un ton des plus catastrophique ! Et tous les soirs les comptables et leur fixette sur les « cas », dans leur comptage, omettaient de signaler que depuis des années, les gouvernements successifs sucraient l’argent destiné aux hôpitaux publics, sucraient tous les postes de soignants, les équipements sanitaires, le matériel de réanimation, les lits, etc.
Et puis, il y avait les tests ! Oh ! Les tests ! Paf dans le pif ! Un long bâton qui titillait la glande pinéale en profondeur. Un tour, deux tours, dix tours, vingt tours, les Bulots n’en voyaient plus la fin du bâtonnet dans l’orifice nasal !
Les corbeaux continuaient à croasser sur l’écran plat. Les Bulot étaient tellement affolés qu’au 20 heures, la cuiller de potage leur échappait des mains devant l’horreur étalée devant eux, plouf !, l’appétit coupé par les croques-morts et le récit quotidien du déroulement des ravages du pangolin et de la chauve-souris chinois. La fièvre les gagnait, des tremblements partout, la rate qui s’dilatait, le foie qu’allait plus, le coeur qui s’débinait, en gros ils leur foutaient tellement les j’tons, les sinistres, qu’il n’était plus nécessaire d’attraper le virus pour calancher direct, suffisait de voir la télé. Et puis comme ce n’était pas assez, le Président de la République, les media, les ministres, les médecins et les experts en expertitude squattant matin et soir les grandes chaînes, à grands coups de bombarde médiatique, annoncèrent à tous les Français le confinement et l’arrêt total de toutes les activités dans le pays. Le Président de la République faisait une annonce martiale : - Nous sommes en Guerre !
Bulot se tenait le front, et se demandait si les tanks n’allaient pas bientôt déferler sur la France pour bombarder le virus !
Arrêt cardiaque assuré et à faire dans leur culotte, pour Bernadette et Maurice Bulot, ces deux retraités paisibles qui, à force d’écarquiller leurs mirettes sur les présentateurs-vedettes des media et des médecins de plateau-télé et leurs prédictions de fin du monde, à force de voir en gros plan la tronche des ministres et ministresses du gouvernement, leur annoncer que des masques de protection, nécessaires obligatoirement pour se protéger, il n’y en avait plus sur le marché – introuvables - et que d’ailleurs pour placer un masque sur son nez, il fallait au moins sortir de Polytechnique, tellement c’était compliqué... bla, bla, bla…, les Bulot décidèrent de se calfeutrer pour éviter toute contamination. Le virus pangolinait, chauve-souriait, il fallait être très prudent, extrêmement, absolument ! Éviter tout contact avec l’extérieur, se recroqueviller dans une bulle aseptisée, tout en continuant de tenter de vivre normalement. Car à la télé, des reportages de quelques minutes montraient une mamie en train d’agoniser sur son lit d’hôpital, à cause du petit dernier contaminé par le virus, et qui, dans un grand élan de tendresse l’avait contaminée à son tour en la prenant dans ses bras. La vieille dame rendait son dernier soupir, à travers son respirateur et le garçonnet, inconsolable, s’accusait du meurtre par sa faute, de sa pauvre mamie. Ces petits films très égayant pour tous les petits-enfants à l’heure du marchand de sable, pépés et mémés, tout le monde paniquait à souhait, itou les Bulot.
Terrorisés par la perspective d’être papouillés par leurs petits-enfants, et de finir les pieds devant comme la mamie de la publicité télévisée, ils décidèrent de ne plus voir leur progéniture et la progéniture de leur progéniture. Avec eux, cela faisait trois générations en tout. Le virus intra-familial c’était pour les imprudents, les inconscients ! Et les Bulots, eux, sauvés d’un virus plus dangereux que la bombe à neutrons ! Un virus si méchant qu’il fallait prendre des mesures encore plus coercitives drastiquement, épouvantablement, rigoureusement, comme de porter le masque partout, même dans les chiottes, on ne sait jamais quelque giclée d’urine suffirait à vous envoyer en ventilation, en réanimation, au masque à oxygène, direct les pompes funèbres ! A cette allure-là, les Bulots épouvantés par le discours des media, de la présentation des événements revus et corrigés par les journalistes, bleus d’effroi, la goutte au front, des yeux exorbités de rascasse à l’agonie, les Bulots comme le reste des Français voyaient arriver... L’Apocalypse !
Tant d’alacrité télévisuelle ; le couple de retraités se calfeutra et ne mit plus le nez dehors, jusqu’au jour où les provisions de « première nécessité » vinrent à manquer. Qui des deux affronterait l’extérieur ? Ils décidèrent de tirer à la courte-paille. C’est Maurice qui tira la plus courte. « Reviendrai-je intact ? » angoissait-il.
- Prends des dispositions testamentaires, au moins ! Hein ? Mon lapin ! Pense aux tiens ! On ne sait jamais !
- Tu as raison ma biche, mais si je vais voir le notaire, il risque de me contaminer !
- Mais comment qu’on fait, alors ?
Avant de sortir de sa tanière, Bulot après s’être assuré que personne ne descendait ni ne montait l’escalier de l’immeuble, ni ne sortait de l’ascenseur, (car croiser un voisin devenait plus dangereux encore que que croiser un tueur armé d’une kalachnikov…), dévala l’escalier à toute vitesse, ouf… Personne !
Comme ils écoutaient et suivaient religieusement les recommandations du gouvernement, ils ne tarissaient pas d’éloges sur les dirigeants.
- On a de la chance en France d’être gouvernés par des gens très zintellizents ! Des zénies ! Tu te rends compte, ma biche ?
- Oh ! Oui, mon lapin, ils ont tout prévu, même les zattestations de sortie ! Ah ! On peut dire qu’ils en ont de l’imagination au gouvernement !
Bulot prit sa plus belle plume et son écriture du dimanche et commença à rédiger une attestation, attestant qu’il s’auto-autorisait de sortir, dont voici un extrait où vous pourrez apprécier la précision du style.
Auto-attestation
Je, soussigné Maurice Bulot, sis, bat n° 6 du 6 square de la Gare, Nice, 06 Alpes-Maritimes.
Je m’autorise par auto-attestation, devant me rendre au supermarché pour mes emplettes quotidiennes, avoir besoin de cette autorisation pour traverser la rue et effectuer le trajet de 1 kilomètre autorisé éloigné de mon domicile que je ferai à pieds, exactement 500 mètres aller et 500 mètres retour. J’autorise ma femme Bernadette de rester dans l’appartement sis au bâtiment 6 du 6 Square de la Gare, Nice, 06 Alpes-Maritimes, où elle m’attendra jusqu’au retour des courses. Mes emplettes quotidiennes que je détaille sont : une crème de rasage pour homme, deux tranches de jambon, un camembert, un kilo de pommes, un rosé de l’Hérault, un paquet de biscottes sans sel, pour régime. Je m’engage de ne pas dépasser le temps de « une » heure recommandé.
Fait pour servir et valoir ce que de droit,
Maurice Bulot, retraité.
PS : je précise que mon auto-attestation est contresignée par ma femme qui m’autorise de sortir.
Bulot croyait avoir tout bien respecté des consignes gouvernementales. Mais ce n’était pas suffisant, car il fallait aussi respecter la distanciation sociale pour cause de pandémie. Dans le supermarché, il n’était pas question de déroger à la règle.
Sur le sol, les directeurs de supermarchés avaient fait coller des bandes rouges et blanches à 1 m 50 de distance chacune. Vous pensez, des gens aussi intellizents avaient pris le pied à coulisse et calculé la vitesse moyenne du parcours moyen d’un glaviot ou d’un postillon, multiplié par la vitesse de la lumière ou du son, par une règle de trois cela faisait : 1 m 50 exactement.
Bulot, dans les allées du supermarché pilotait à vue, évitant de croiser les clients. Lorsque Maurice croisait un chaland, hop ! Il faisait demi-tour sur lui-même avec son caddy et s’enfuyait à la vue d’ éventuels porteurs de virus qu’étaient devenus tous les clients du supermarché. Ce n’était pas lui qui le disait, c’étaient les présentateurs télés zélés, les journalistes, de bien braves gens, puisqu’ils se préoccupaient beaucoup du sort commun… Ou bien lorsqu’il ne pouvait pas faire autrement que de croiser l’individu suspect, il lui tournait le dos, le mieux c’était de faire semblant de chercher un objet dans les rayons du bas ! Et le derrière en l’air, il fourrait le plus profondément possible son nez dans le rayon, histoire de ne pas respirer l’air contaminé par la respiration de l’autre ! Et puis ce n’était pas tout, un haut-parleur diffusait tous les quart-d’heure un spot demandant aux clients que vue la circulation du virus il fallait respecter toutes les consignes de précaution…
Bulot, les esgourdes grandes ouvertes faisait le bilan de sa prudence, on ne sait jamais… L’ai-je bien évité lorsqu’il m’a croisé ? Et des sueurs froides inondaient sa suspicion.
Ensuite, il fallait passer à la caisse. Alors, là c’était du grand art ! Lorsque quelqu’un le regardait de trop près, il tournait la tête et prenait un air ennuyé, tapotant de ses doigts sur le caddie… Ou bien plongeait à nouveau sa tête dans le charriot faisant semblant de recompter fébrilement ses emplettes.
Ca évitait d’avoir à discuter à distance avec un voisin potentiel, de baver dans son masque, pour lui répondre. Et puis avec un masque sur la tronche, on ne comprend rien ! On n’entend rien ! Bulot se refermait aux autres… Devenait a-social !
Les directions générales de supermarchés aussi avaient tout prévu pour les caissières derrière leurs sas, gantées et masquées, pour éviter les postillons des clients. En un tour de main, les caissières se transformèrent en cosmonautes : masques tissu, grands masques de plastique transparent par-dessus le masque de tissu, à la manière des boucliers de CRS, gants, et en plus… une vitre qui séparait les clients de la caissière-cosmonaute. Et pour parfaire le tout, une employée cosmonaute déboulait avec un chiffon et de l’alcool à brûler pour désinfecter le tapis roulant de la caisse après chaque passage d’un client.
Et puis il y avait le gel hydroalcoolique pour se laver les mains, à l’entrée des commerces. Bulot passait ses mains sous le poussoir gélifiant. Il était parfaitement heureux de se plier à tant de bon-vouloir épidémiologique.
Les caissières étaient sauvées, masquées, gantées, derrière leur sas de plastique transparent, pour éviter les pluies de postillons des clients ! On ne voyait plus que leurs yeux rougeoyants et larmoyants. Des heures à respirer sous un masque, à renifler en permanence ses écoulements nasaux, en apnée des heures, ça laisse des traces…
Des pluies, des orages impétueux de postillons contaminés, que les météorologistes de l’écran plat prévoyaient tous les soirs avec les comptes-rendus comptables des nombres de morts achevèrent les Bulot.
Enfin, on leva le confinement et le gouvernement libéra le troupeau, un peu comme la volaille est lâchée dans les prés, pour, quelques heures plus tard, la ramener sous les hangars. La pandémie reprenait de plus belle, disaient les experts en expertitude ! Des cumulo-nimbus de virus, des orages de postillons continuaient de contaminer, Oh ! Il en était encore tout ému Bulot et sa Bernadette ! Mais ils ressentaient toujours fortement une peur paralysante, car ce virus toujours aussi méchant, figurez-vous qu’il... variait…
Il variait tellement qu’on ne parla bientôt plus que de… Variants !
Un virus qui varie en variant ? Une vrai vrille ! Qu’est-ce ? Aussi Bulot qui avait passé sa vie comme fonctionnaire de catégorie subalterne dans une sous-préfecture du Sud, tout discipliné et obéissant qu’il avait toujours été, fut visité à son tour par le doute et commença à se poser des questions. Nous prendrait-on pour des truffes, pour des abrutis ? Alors il s’en ouvrit à son médecin de famille qui lui expliqua qu’un virus varie, c’est normal, mais qu’il n’avait jamais entendu encore parler d’autant de… variants. Des variants grecs ? Faut croire, car ils portaient tous des noms grecs ! Des virus certakis ? Mais alors… Des virus de brebisse ? Où était passé le pangolin chinois ? Pour quelle raison ces variants ne portaient-ils pas de noms mandarins ?
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