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Technophilies

Un petit condensé des grandes réussites humaines.

Je ne connais personne qui ne soit pas technophile. Moi compris, alors que je fais semblant du contraire. Il suffit de regarder autour de soi pour en avoir quelques exemples : on se sert d’une machette pour faire tomber des bananes d’un arbre, d’une hache pour abattre cet arbre, d’une reille, d’une charrue, d’une moissonneuse-batteuse pour cultiver les sols nus après l’abattage des arbres, d’une aiguille pour coudre un vêtement, d’un tournevis pour assembler un meuble, d’une scie pour découper les planches de bois qui permettront de constituer ce meuble, d’un couteau pour découper la viande crue ou cuite, d’une canne pour ferrer le poisson, d’une éponge pour nettoyer la vaisselle, d’une grue pour monter un bâtiment, d’une télévision pour avaler les dernières mauvaises nouvelles, d’Internet pour les propager avant la télévision. Certains prennent même un véhicule à moteur pour parcourir une moitié de kilomètre qu’ils auraient très bien pu faire à pieds. Il faut que je finisse par le reconnaître, je fais partie d’un groupe très malin.

Parce qu’en fait, sans tout ça, l’être humain il est complètement nu et nul. Certainement l’espèce la plus lamentable de toute la planète, juste bonne à blablater et à écrire des articles pour se plaindre de son sort, en tout cas les échafauder, parce que sans plume ou sans clavier, c’est lettre morte, ou plutôt vivante mais pas longtemps, à moins de quelques bonnes mémoires. Sans tout ça, c’est la grotte comme seul abri, les moustiques qui le boivent, les dinosaures qui le traquent, les fauves qui le dévorent. Le mal dans l’eau qui le fait s’éteindre rapidement et les femmes qui mettent bas en risquant leur peau sans être certaines que leur progéniture va vivre.

À mains nues, l’animal humain est un bon à rien. Sa faculté de conceptualiser par le dessin ou le langage, de mobiliser les forces de la nature pour les tourner à son avantage, voilà ce qui l’élève. Que de découvertes et d’inventions pour se faciliter la vie et la reproduction ! Mais voilà que nous sommes passés à un autre stade de notre amour pour les outils. Cela ne consiste plus seulement à nous défaire des calamités et des maladies causés par l’environnement hostile, mais également des torts causés par l’espèce à l’espèce elle-même. L’épée, l’arme à feu, la grenade, le char d’assaut, la bombe A ou H, voilà de beaux moyens de se débarrasser de pair(e)s récalcitrants ou gênants, de celles ou de ceux qu’on estime de trop, pour une passion ou une autre.

Après l'Holocauste, Hiroshima et Nagasaki, il a fallu rendre confiance au bon peuple dans le modèle plurimillénaire de l’avancement du genre humain par le développement des outils, celui qui a assuré la croissance du cheptel puis celle du capital. Les facultés créatrices de la technologie ont été mobilisées pour distraire le quidam des angoisses laissées par les épreuves de 14-18 et de 39-45. L’amour des outils en est revenu blindé. Les derniers nés adorent leurs écrans, leurs jouets et leurs consoles plus que leurs parents, et une fois grands, l’inclination est pérenne. L’autre devient un outil de plaisir ou de révulsion qu’on amadoue avec des contrats de mariage ou de travail. Tout ça est devenu un jeu d’enfant.

En être à un point où tout ça pourrait tourner tout seul et entendre encore et toujours que le chômage est trop élevé et l’âge de la retraite trop bas alors qu’on pourrait se passer de travailler en dehors de la construction et de l’entretien des machines, obliger les gens à prendre des emplois précaires et à se torturer le crâne pour s’assurer le train de vie le plus minimal, c’est vraiment trop con. La libre entreprise, bien sûr, mais détachée des contraintes de la survie, elle serait bien plus agréable ! À quoi bon tout cet enrichissement matériel et intellectuel s’il ne permet pas le repos de l’âme et l’exercice décontracté du corps ?

Pour détourner un peu l’esprit de ce qu’il pourrait accomplir avec ce dont il dispose, on lui parle d’amour et de tolérance, on l’assomme avec ces thématiques obsolètes de la libération des corps et de la sexualité. On a tellement dit aux gens qu’il fallait d’abord s’aimer soi-même pour aimer les autres qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour s’améliorer extérieurement, quitte à se changer totalement. Et ils le font comment ? Pas seuls avec leurs mains bien sûr ! La technologie est la condition même de la culture transgenre. Sans les outils de la chirurgie, tu en restes avec ton pénis ou ton vagin d’origine, n’est-ce pas malheureux ? Tous ces mondes qui s’ouvrent à toi, il serait dommage de ne pas les visiter. Ne te prive pas d’une seule expérience. Passe sur le billard. Participe à l’enrichissement collectif. Mais par contre, n’oublie pas qu’avec ton nouvel organe, le seul moyen de te reproduire, ce sera in vitro. Quitter la grotte pour le bloc, voilà ton destin.

Il m’est arrivé d’écrire que j’étais pour la décroissance, sauf pour les sentiments. Sur certains aspects, les mouvements woke ou LGBTI+ sont honorables. Ils défendent une société sentimentale et des valeurs de bienveillance, d’entraide et de solidarité. Mais ils le font en occultant le rôle qu’ils accordent aux dernières technologies tout en feignant du mépris pour les anciennes, qui sont pourtant nécessaires à leur existence même. Dans les « -philies » sexuelles, on trouve la nécrophilie et la zoophilie. Pour invalider les sexualités organiques et les structures qui les étouffent, la jeunesse vient sans le savoir de redéfinir le terme de technophilie. La réification a été poussée à son ultime forme : soi comme objet de transformation. Soi et l’autre comme outils de désir, comme outils du désir. Il faut une grande abondance de biens autour de soi pour pouvoir penser et vouloir vivre en primitifs. Bien heureusement, ce projet est voué à l’échec. Heureusement, il y a toujours trop de pauvres.

La vieille dualité entre les apparences et l’essence a toujours cours. Elle a permis le progrès des connaissances. Elle a fondé et fonde encore un bon nombre de revendications politiques. Mais elle a toujours été doublée, comme un manteau, d’une autre dualité : celle entre l’âme et le corps. Tant que l’âme pensera que son salut dans la sphère publique passe par une présentation normée de son corps, de son adéquation à un projet d’unité ou de diversité, à la réalisation d’une fiction imposée du dehors, elle sombrera. La machine ne nous aidera pas à dépasser nos contradictions du dedans en nous modifiant au dehors. C’est seulement en limitant les médiations et en tissant des contrepoints, par une harmonie sans rupture, que l’angoisse transversale du froid s’estompera. Rappelons-nous comment nous avons produit du feu pour la première fois : à la main, en frottant régulièrement deux bouts de bois qui traînaient par terre. Jamais nous n’avons été plus heureux que bruts.


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7 réactions à cet article    


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 30 janvier 2023 12:27

    Bienvenue au Club.... Cela ne rese que du plastique et des fils électrique. Pas de quoi s’émerveiller..


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 30 janvier 2023 18:01

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Pour moi, ça plane. Le plastique c’est fantastique.


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 1er février 2023 10:09

      @Nicolas Cavaliere Je vais vous révéler une chose. Plastic Bertrand n’est pas son nom. Mais le hasard a voulu qu’il porte le même nom que ma grand-mère. Et fut aussi celui du gourou du Temple solaire : Luc Jouret...


    • I.A. 30 janvier 2023 12:53

      « Rappelons-nous comment nous avons produit du feu pour la première fois : à la main, en frottant régulièrement deux bouts de bois qui traînaient par terre. Jamais nous n’avons été plus heureux que bruts. »

      Très joli texte.

      Oui, les vrais gens sont de plus en plus rares.

      Savez-vous à quoi je les reconnais ? Ce sont ceux qui continuent à s’émerveiller d’avoir de l’eau chaude ou même froide à leurs robinets. Ceux pour qui l’électricité reste une fée, et le moteur à explosion un monstre tantôt utile, tantôt dangereux.

      Ils n’apprécient rien tant que les choses simples. La vie reste fabuleuse pour eux. Ils copinent avec les aliens que sont les animaux, qu’ils soient domestiques ou pas, ils parlent aux oiseaux, ils trouvent les araignées élégantes.

      Je dis « ils » alors qu’il s’agit majoritairement de femmes, parce qu’elles sont moins enclines à bricoler et plus prudentes (question d’éducation en fait, de traditions et de normes sociétales).

      Mais il faut avant tout une forte dose d’authenticité. Ces êtres-là sont rarissimes.






      • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 30 janvier 2023 18:06

        @I.A.

        Merci.

        C’est vrai que c’est incroyable. Hier soir, je prenais ma douche et l’eau arrivait sur moi sur la simple manipulation d’un levier. C’est vrai que c’est génial !

        Les pronoms ne semblent plus être très importants. C’est comme notre vieille distinction entre « tu » et « vous », elle est caduque, les patrons qui tutoient sont désormais bien plus nombreux que ceux qui vouvoient. Le langage finira bien par reprendre son droit en traduisant les nuances des situations neuves.


      • Adèle Coupechoux 30 janvier 2023 17:29


        " À quoi bon tout cet enrichissement matériel et intellectuel s’il ne permet pas le repos de l’âme et l’exercice décontracté du corps ?

        « 

        Nous sommes loin de l’apaisement, l’hystérie » progressiste " est partout, agressive, intrusive. La technologie comme tout outil mal utilisé nous asservit pour servir en priorité la marchandisation du monde.

        Et le temps ce n’est pas de l’argent, ce sont nos respirations, nos soupirs, nos rêves, notre vie. 


        • Nicolas Cavaliere Nicolas Cavaliere 30 janvier 2023 18:01

          @Adèle Coupechoux

          C’est joliment dit.

          Quand j’étais gamin, je croyais qu’on nous foutrait la paix avec le travail pénible, et puis je me suis rendu compte qu’aucun travail ne l’est réellement si le résultat rend fier. Le vrai problème, c’est la concurrence instituée. Il y a déjà assez de concurrence en soi, il faut se battre pour s’approprier les ressources naturelles nécessaires au travail, mais nous redoublons le problème en laissant des gens cupides édicter les règles et accroître cette concurrence. L’économie était politique, elle est aujourd’hui médiatique, dans le sens où il y a toujours plus de relais. On pense souvent des sources d’information, de la presse, etc., mais il y a un autre type de « média », c’est celui qui prend sa marge entre l’acheteur et le producteur. Celui-ci reste dans l’ombre et c’est tant mieux pour lui parce que son rôle est si peu utile que dénoncé publiquement, il prendrait vite la poudre d’escampette.

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