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Philippe De Gaulle et le théorème de la locomotive

« Car n'allez pas croire qu'il est impatient de reprendre le flambeau après douze années de retraite. Il sait ce qui l'attend. » (Philippe De Gaulle, sur son père, 2003).

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L'amiral Philippe De Gaulle, le fils du Général Charles De Gaulle, fête son 101e anniversaire ce mercredi 28 décembre 2022. C'est l'occasion de revenir sur certains de ses témoignages. S'il a eu une action politique relativement modeste, il a été sénateur de Paris de 1996 à 2004 après sa mise en retraite de l'armée, où il a occupé le poste d'inspecteur général des forces maritimes et aéronavales du 1er novembre 1980 au 28 décembre 1982, il a été évidemment un témoin privilégié de l'action de son père, avec qui il entretenait des relations de confiance et d'intimité très particulières.

La grande part de son témoignage a été publié dans les deux tomes du livre "De Gaulle, mon père" composé d'entretiens avec le journaliste Michel Tauriac (chez Plon). L'un des sujets intéressants reste le retour au pouvoir de De Gaulle : attendait-il une revanche pour revenir au pouvoir ou avait-il définitivement mis une croix sur cette idée politique en voulant rester tranquillement dans sa retraite.

Pour Georges Pompidou, qui fut son directeur de cabinet à l'époque du RPF, cela ne faisait aucun doute que De Gaulle attendait le moment adéquat pour revenir au pouvoir. Philippe De Gaulle, au contraire, invalide cette version. Il raconte ainsi qu'à partir du milieu du mois d'avril 1958, il fut très sollicité : « Tous lui demandent de revenir. Qui pourrait sauver la situation sinon lui ? Qui pourrait refaire démarrer les institutions, redonner à la France sa place parmi les grandes puissances et la sortir du guêpier algérien ? Impatient de revenir aux affaires, mon père ? Allons donc ! ».

Et Philippe De Gaulle explique à Michel Tauriac que son père était dans le même esprit que sa mère Yvonne qui ne voulait absolument pas entendre parler d'un retour au pouvoir, elle faisait même de la "résistance" ! Dès qu'elle voyait le Général soucieux, elle lui assénait : « Ils vous ont laissé tomber en 1946, vous ne leur devez rien ! Alors, maintenant, ils viennent vous chercher ! Trop tard ! ».

Dans son équation personnelle, De Gaulle prenait en compte aussi son âge, 67 ans : « Soixante-sept ans ! À cet âge-là, les généraux ne vont plus à la bataille. Ils ne sont plus capable de rien. ». Probablement que lorsqu'il lâchait cette boutade, il pensait à Pétain qui était pourtant beaucoup plus jeune lorsqu'il fut rappelé lors de la Première Guerre mondiale (il avait été rappelé de sa retraite à 58 ans pour devenir général en août 1914). Un autre moment, il se confiait ainsi à son fils : « Bon, j'ai 67 ans. J'ai donc dix ans de trop et il va me falloir dénouer une crise sans précédent... ». Et cet âge le taraudait tant qu'il a balancé cette fameuse phrase culte à sa conférence de presse du 19 mai 1958 au Palais d'Orsay : « Est-ce que j'ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ».

Philippe De Gaulle affirme d'ailleurs qu'au début, il était de l'avis de son père, au même titre que son oncle Jacques Vendroux et son beau-frère Alain de Boissieu : « Il ne voit pas très bien ce qu'il pourrait faire avec les institutions de la Quatrième République dans une situation aussi complexe. On l'appuie quand il répond à toutes les instances qui veulent le rencontrer, jusqu'à ses plus féroces adversaires (…). Nous redoutions de le voir se jeter dans une mêlée sans moyens, sans alliés, sans pouvoir réel. Et puis, il y a ses Mémoires. Deux tomes sur trois lui restent à finir. N'est-ce pas plus important que tout autre chose ? Peut-il disparaître un jour sans avoir relaté aux Français tout ce qu'il a fait pour eux et leur pays ? C'est son obsession : "Si je pouvais rallonger les jours pour pouvoir écrire davantage !". Notre premier réflexe est donc de l'encourager dans son refus. Et ma mère est heureuse que nous soyons en bonne intelligence avec elle. ». Mais l'amiral rajoute la phrase qui tue : « Jusqu'au jour où nous comprenons que les événements sont tels qu'ils ont rattrapé mon père. ».

Et les trois conseillers intimes ont émis ce nouveau conseil à De Gaulle : « Vous avez peut-être raison, mais vous ne pouvez plus demeurer sans rien faire, parce que vous apparaissez comme le recours et le seul. Si vous ne répondez pas à leur attente, les Français ne vous le pardonneront pas. Historiquement, vous ne pouvez pas refuser. ». La parole a été donnée dans la bibliothèque de La Boisserie : « Un chien aboie au loin. Des bruits de verres entrechoqués nous parviennent de la pièce à côté : Charlotte est en train de mettre le couvert. Nous attendons que mon père reprenne la parole. Mais il ne s'y décide pas. ».

Yvonne, présente à la bibliothèque, était alors ulcérée par le revirement de son fils. Elle passa à la contre-attaque : « Mais Charles, vous ne trouvez pas que ça suffit comme ça ? Vous allez recommencer ? On n'aura que des embarras ! ». L'homme providentiel est finalement resté silencieux sur ce sujet encore deux ou trois jours, imperméable à toutes les réactions.

Si De Gaulle a finalement accepté de revenir au pouvoir, c'était sur la base des renseignements que ses informateurs lui apportaient, ainsi que sur une nécessité historique qu'il développa à son fils de cette manière : « Le régime était à l'agonie et la France à la merci d'aventures incontrôlables. Intervenir ? Le devoir m'y obligeait contre mon gré. Mais comment n'être l'otage de personne ? ».

Dans sa détermination, il y avait aussi les massacres de soldats français par les rebelles algériens qui l'avaient scandalisé, le 11 janvier 1958 et le 10 mai 1958. Le 13 mai 1958, c'était le soulèvement à Alger. De Gaulle a suivi les événements avec angoisse à la radio. Le 15 mai 1958, il a publié son fameux communiqué, se déclarant « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Philippe De Gaulle précise alors : « Contrairement à ce que l'on a pu affirmer par la suite, il n'est pas très enthousiaste. Il n'a jamais cherché à avoir le pouvoir. En 1940, en 1958, c'est la nécessité qui le lui a donné. Il n'appartient plus à personne. Certes, il avait le goût du commandement, mais comme il me l'a fait remarquer justement à ce moment-là, "on n'est pas au pouvoir pour en avoir la place et le plaisir d'y être, mais pour agir". Et il savait que la bataille serait très pénible. ».

Après la conférence de presse du 19 mai 1958, c'était plié, De Gaulle reviendrait au pouvoir, c'était politiquement certain. Yvonne avait échoué : « Dans quoi allez-vous vous fourrer une nouvelle fois ? ». Ou encore : « Ils vont encore l'embringuer ! ». Soucieux des réactions à ses déclarations, De Gaulle était particulièrement triste de celle de Pierre Mendès France, qui pensait qu'il avait lui-même supervisé le 13 mai : « Après la Libération, [Mendès France] n'a cessé de me décevoir. Bien qu'issu du cabinet de Léon Blum avant la guerre, il aurait dû devenir gaulliste. Mais malgré tout ce qui s'est passé et qu'il a pu constater, il est resté socialiste, c'est-à-dire contraint à la démagogie. Guy Mollet a fait plus de progrès que lui. ».

Après la venue d'Antoine Pinay le 22 mai 1958 à La Boisserie, effrayé par la perspective d'un putsch militaire, Yvonne, raconté par son fils, a fini par se faire une raison : « Ma mère se reproche discrètement de ne pas avoir réussi à le dissuader de s'engager dans cette nouvelle bataille. "Mais comment arrêter une locomotive ?" soupire-t-elle. ». Effectivement, on n'arrête pas une locomotive quand elle est lancée.

Présent en ces moments cruciaux à La Boisserie, sachant exactement qui téléphonait à qui, Philippe De Gaulle a démenti formellement toute approbation, de près ou de loin, de la part du Général, d'une opération militaire visant à mettre son père au pouvoir : « Pendant cette période, j'étais au fait de ce qui se passait et se racontait. (…) Jamais il n'a cautionné cette affaire qui ressemblait ni plus ni moins à un coup de force, même si, d'après ce que l'on a su plus tard, son impréparation l'assimilait plutôt à du bricolage ou à un canular. Parlant de ce projet, Massu a d'ailleurs assuré lui-même dans ses Mémoires, je le cite : "En vérité, je pensais bien qu'on n'aurait pas à la mettre en pratique. Je me disais que le Général De Gaulle était suffisamment fort pour s'en tirer sans nous. Et surtout, je ne le voyais pas revenir au pouvoir à la faveur d'une action militaire. Il était profondément démocrate et républicain, il l'avait toujours prouvé". ».

En revanche, l'idée d'un possible putsch à Paris, s'il n'a pas influencé De Gaulle, a conduit la classe politique de prendre conscience de la gravité de la situation : « Il pensait que la rébellion des gens d'Alger avait été un catalyseur. C'est ce qu'il m'a répondu à ma propre question. "En provoquant la peur, m'a-t-il expliqué, la réaction de l'armée a contraint les politiciens à comprendre que la Quatrième République était vraiment morte et que rien ne la réveillerait plus. Que rien ne renaît jamais d'un cadavre". Il admettait donc bien sûr que cette réaction avait joué dans l'histoire, comme l'a écrit Massu. Mais il ajoutait que c'était à la suite d'une longue réflexion, comme je l'ai rapporté, qu'il avait décidé de lui-même de sortir de sa retraite et non pas poussé dans le dos par des militaires en mal de pronunciamiento. Il savait en outre qu'il était déjà assuré de la réussite du processus politique en cours quand il a appris l'imminence de l'exécution du plan "Résurrection". C'est, je crois, ce qu'il répondra au général Massu plus tard, quand ce dernier lui fera amèrement remarquer, au cours d'une visite orageuse à l'Élysée, qu'il attendait toujours d'être remercié pour lui avoir permis de retourner au pouvoir en 1958 ! ».

Toujours est-il que De Gaulle est revenu au pouvoir au cours d'un processus complètement démocratique, à la demande de la classe politique, et comme De Gaulle ne voulait pas être instrumentalisé par eux, ne servir qu'à calmer l'armée puis à être remercié, il voulait les plein pouvoirs pour pouvoir agir en toute indépendance, en dehors de ce régime des partis qui a ruiné la France.

Et Philippe De Gaulle de conclure : « Immuable dans sa sérénité et sa confiance en son destin, il nous apparaissait égal à lui-même. "Les choses n'ont que l'importance qu'on leur donne", écrivait-il dans son carnet de notes en 1916. Il avait alors 26 ans. Rien ne le fera jamais changer d'avis jusqu'à ce soir pluvieux de novembre 1970 où il a quitté ce monde. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Entre père et mer.
L'autre De Gaulle.
La mort du père.
Philippe De Gaulle.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Le songe de l’histoire.
Vive la Cinquième République !
De Gaulle et son discours de Bayeux.
Napoléon, De Gaulle et Macron.
Pourquoi De Gaulle a-t-il ménagé François Mitterrand ?
Deux ou trois choses encore sur De Gaulle.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.


 


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6 réactions à cet article    


  • jacques 28 décembre 2022 10:45

    Il était un peu gros, devait fort apprécier la tête de veaux.


    • Brutus paparazzo 28 décembre 2022 10:57

      une métaphore n’est pas un théorème


      • Lynwec 28 décembre 2022 11:47

        Et grâce (en partie, les suivants, formés à l’étranger, y ont beaucoup contribué) à de Gaulle, nous n’avons plus « un régime des partis qui a ruiné la France », mais une cinquième république qui l’a achevée ... Merci qui ?


        • M Rakoto votre opinion de petit racoleur Macroniste on s’en fout ...


          • zygzornifle zygzornifle 29 décembre 2022 08:28

            Avec toutes les grèves de la SNCF la loco n’est pas prête de partir ....


            • zygzornifle zygzornifle 29 décembre 2022 08:29

              Rakoto a la gaule en regardant de gaulle .....

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