De l’art de la guerre - 2ème partie -
STRATÉGIE RUSSE, STRATÉGIE OCCIDENTALE
Depuis des siècles, la « lecture » que les Occidentaux font de la Russie, du peuple russe et de ses dirigeants est biaisée par des partis-pris et une lecture excessive confinant parfois à la caricature. Ce regard sur la Russie en oublie de considérer tout ce qui a trait aux qualités spirituelles, intellectuelles et physiques du peuple. Les stratèges occidentaux, tout comme les intellectuels, ont-ils correctement évalué les « valeurs morales » du peuple russe ?
Il faut chercher très loin en arrière pour trouver chez les Européens, un Chef d’État conscient de la force et l’énergie des Russes. Il s’agit de Frédéric le Grand, roi de Prusse. En 1776, il faisait le constat suivant : « De tous les voisins de la Prusse, c’est la Russie qui mérite le plus d’attention. Elle est puissante et proche ». Mais il rajoute, condescendant, « Ceux qui dirigeront la Prusse à l’avenir devront cultiver l’amitié de ces barbares » !
Barbares, le mot est lâché.
La condescendance occidentale n’a pas varié depuis. Les USA et l’UE considèrent toujours la Russie comme un immense territoire à conquérir économiquement pour apporter les joyeusetés du globalisme, à ces… « barbares » !
Au XVIIIe siècle, Frédéric le Grand avait en tête une chose : l’immensité de ce territoire grand comme un continent, où la lutte quotidienne dans une conquête ardue du sol sous la sévère discipline que leur imposait le jeu des saisons, dépassait en efforts ce qu’on pourrait supporter. Parce qu’ils eurent de tous temps à mener un combat sans pitié contre les éléments. Historiquement les Russes n’ont jamais connu une existence « paisible », à cause de la lutte acharnée contre des conditions climatiques impitoyables, d’abord : « vents impétueux du Nord qui balayaient leurs plaines glacées aux longs hivers et des nuits sans fins ».
D’autre part, à cause des inégalités sociales particulièrement criantes qui caractérisaient ce peuple majoritairement rural et soumis au servage. Où la moitié des terres appartenait à 100 000 nobles, le reste à l’État, le reste enfin à l’Église orthodoxe, et la portion congrue à des petits propriétaires terriens : les Koulaks/koulakis (affranchis) que Staline au début du XXe siècle, s’empressera de faire massacrer aux termes d’une grande purge. Un grand propriétaire terrien, comme par exemple, le Comte Cheremeniev, pouvait posséder jusqu’à 140 000 serfs, du temps des Tsars. C’est cette noblesse terrienne qui fournissait les chefs militaires et les chefs des institutions économiques. Si le noble était exempté du service militaire, il s’y astreignait malgré tout, dans l’espoir d’une récompense par le Tsar ou la Tsarine. En règle générale, bien que le noble eût tout pouvoir sur le serf, (châtiment corporel et droits de justice ou de bannissement), les paysans géraient eux-mêmes leurs propres affaires dans les assemblées villageoises : les MIR, avec l’aval du maître.
Les Russes, serf ou maître, ou noble ou petit propriétaire terrien, ou religieux, étaient taillés dans le même bois, et vigoureux. Ils se retrouvaient dans l’orgueil de leur race et le bien-fondé de leur foi dans la conviction intime que la « Sainte-Russie » restée fidèle au christianisme des patriarches était un bien précieux lorsque l’Occident se damnait par son « paganisme et son incrédulité ».
Cette rudesse chez le Russe du XVIIIe siècle se retrouva bien entendu chez le militaire tsariste du XIXe siècle, et perdura au XXe, et que l’on sache au XXIe siècle, il est la marque de fabrique des hommes et des femmes de cet immense pays/continent, même si la Science, les techniques avancées, les inventions, le modernisme, sont venus atténuer les rigueurs du quotidien. Les rigueurs climatiques, elles, sont restées identiques, telles que décrites par le passé.
Le militaire soviétique ressemble farouchement au militaire de l’Empire tsariste où il reprit à son compte la « stratégie russe », à quelques détails prêts, celle de la « stratégie élargie », héritage des tsars, qui eux-mêmes l’avaient appris des Mongols, « la Horde d’Or » et de la lointaine Chine, (Sun Tzé) et de V. Clauzewitz, l’Allemand. Ils utilisaient les méthodes à leurs dispositions, un « trésor pour son maître et le pilier de l’Etat ».
La pensée militaire chez les Russes-soviétiques ou post-soviétiques est mal connue des Occidentaux – malgré les nombreux écrits de tacticiens russes ou occidentaux russophones.
Si la pensée militaire soviétique puise dans l’héritage tsariste, chez V. Clauzewitz, et Sun Tzi, étonnamment, fait très peu connu du grand public, elle prend aussi racine – pour des raisons doctrinaires – chez Karl Marx et Engels, qui n’étaient pas des pacifistes, et ont beaucoup écrit sur l’Art de conduire une guerre, car il existait « un lien étroit entre la guerre et la révolution ». Sans guerre, pas de révolution possible. Ils se basaient pour ce, sur l’histoire des révolutions du XVIIIe siècle, de la guerre d’indépendance américaine qui servit d’inspiratrice à la révolution bourgeoise de 1789 en France.
Pour mener à bien la révolution, les deux Allemands Marx et Engels souhaitent voir éclater des conflits entre :
1/ La Prusse et le Danemark,
2/ La Prusse et l’Autriche,
3/ La Prusse et la France, (pendant la guerre de Crimée),
tout en souhaitant la victoire de la France, de l’Angleterre et de la Turquie, et que toutes les forces révolutionnaires viennent à bout de la Russie tsariste car ils la considèrent comme « la puissance réactionnaire par excellence ».
Voilà désignée l’ennemie centrale et majeure de l’Occident, de l’Europe : La Russie. Un discours au bellicisme renforcé.
Par idéologie, Marx et Engels ne s’attardent pas sur les risques induits, ni d’escalade, du fait des imbrications diplomatiques de l’époque, préfigurant en ce, la première guerre mondiale de 1914/18. Marx et Engels veulent la fin des Hohenzollern et des Habsbourg – ils veulent la révolution en Allemagne et dans le reste de l’Europe.
Marx et Engels misent sur l’importance d’un conflit économique et psychologique de haute intensité. Ils misent sur l’importance d’un armement moderne et de même pour les méthodes de combats.
« L’influence d’une stratégie de génie dans ce domaine y est moins grande qu’une arme nouvelle », écrivent-ils.
Ils prônent la conscription, considérant que les « armées de métier » sont, selon eux, les outils des Etats bourgeois.
« Les conscrits seront les meilleurs agents de la révolution ».
On peut considérer qu’aux yeux des militaires soviétiques Marx et Engels sont les « pères de la guerre totale et moderne ».
Marx et Engels tirent quelques conclusions sur l’art de la guerre.
Révolutionnaire ou pas, elle parurent à l’époque, novatrices.
1/ Les campagnes militaires peuvent être perdues longtemps avant que ne soit tiré le premier coup de fusil et que leur issue sera en fait décidée au préalable sur les champs de bataille de la guerre économique et psychologique.
2/ La guerre qui se déroule sur de multiples plans est une et indivisible, elle peut être gagnée ou perdue aussi bien sur la ligne de combat que par un conflit civil intérieur ou au fond de l’âme défaillante de chaque citoyen ».
3/ L’influence d’un stratège de génie dans ce domaine y est moins grande que celle d’une arme nouvelle.
Lors du 32eme anniversaire de la Révolution d’Octobre, Malenkov s’exclamait :
« Il ne peut y avoir de doute qu’une 3eme guerre mondiale serait la tombe des Etats capitalistes » !
Staline reniait Von Clauzewitz, mais l’Etat-Major militaire soviétique restait très influencé par la pensée militaire de l’Allemand.
Lénine avait tiré de l’oeuvre de V. Clauzewitz de très volumineuses notes.
Pour Lénine, si la guerre était la continuation de la politique, elle était aussi « son ultime instrument ».
- L’armée et le territoire ennemis, la volonté de l’ennemi étaient les objectifs principaux de la guerre,
- Une nation vaincue avait le droit à l’insurrection,
- La meilleure clef d’une nation est son armée , qu’il y a toujours plus ou moins une guerre, et que par conséquent on peut distinguer plusieurs sortes de guerres : guerre froide, limitée, civile, nationale, révolutionnaire, etc.
- La part qu’y prend le peuple est déterminante,
- La défaite est souvent le résultat d’une mauvaise politique.
C’est ainsi que la place de choix que Lénine réservait à V. Clauzewitz recevait une large audience dans les cercles militaires russes, majoritairement acquis aux théories de l’Allemand, tout autant que Sun Tzi. Quelques-uns apportaient malgré tout un bémol, arguant que la théorie clauzewitzienne prônant la supériorité sur l’offensive, pouvait être vraie pour les armées bourgeoises, mais ne jouait pas pour l’Armée Rouge.
Selon Lénine, il fallait évaluer la guerre non pas en faisant le bilan des pertes, mais selon les conséquences en termes politiques : « Au-dessus des intérêts des personnes qui souffrent et qui périssent pendant une guerre, il y a les intérêts de la libération de la classe asservie… Cette guerre est un progrès quel que soient les souffrances qu’elle implique ».
Lénine applique ses théories avec méthode en créant l’Armée Rouge « car on ne peut combattre un ennemi doté d’armements modernes avec les seules armes classiques du révolutionnaire ».
Les Soviétiques tireront les enseignements de Lénine avec profit pendant la seconde guerre mondiale :
- Discipline stricte,
- Opérations de guérilla coordonnées avec celles de l’Armée Rouge,
- Imposer à l’ennemi de faire front dans toutes les directions, elles ne peuvent seules conduire à la victoire.
Tukachewsky.
Staline le condamna à mort. Ce fut l’un des penseurs militaires soviétiques des plus marquants. Il est un des protagonistes de l’armée mécanique, des opérations combinée aéro-terrestres, il préconise l’emploi de forces aéroportées et celui des forces parachutées loin derrière le front dans les régions à « majorité ouvrière » ce que ne peuvent faire les armées « bourgeoises ».
Il s’inspire dans le cadre des batailles classiques des « théories militaires françaises ». Il et aussi adepte des méthodes du 4ème Bureau français, qu’il fait adapter aux réseaux ferrés et routiers russes. En effet, ses sources d’inspirations françaises sont conduites par des officiers expérimentés : Général Blanc, Inspecteur Général de l’Armée. Il avait mis au point « en liaison avec les Travaux Publics et les Réseaux (routiers et ferrés), une doctrine de manœuvre stratégique pour la bataille. »
Michaël Frunze.
Il remplaça Trotsky, en tant que « Commissaire à la guerre », et organisa avec brio l’instruction militaire russe à tous les échelons : guerre classique ou guerre révolutionnaire.
Dans les années cinquantes, l’Académie Frunze dispensait aux futurs officiers de l’armée rouge, un enseignement « nourri » de sa doctrine.
M. Frunze fut un partisan convaincu de l’offensive, car l’armée rouge en pénétrant en territoire adverse pouvait y trouver une collaboration efficace. Cependant, après la défaite de l’URSS en 1920 en Pologne « une offensive, selon lui ne pouvait être menée qu’avec des moyens supérieurs, de façon méthodique, en consolidant et en aménageant techniquement et politiquement les territoires progressivement conquis.
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