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Accueil du site > Actualités > Technologies > La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 NFH Caïman Marine : la (...)

La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 NFH Caïman Marine : la corrosion (3/5)

L’excellent NH-90 Caïman Marine rouille vite, surtout sous les tropiques. Ces difficultés, qui irritent la hiérarchie militaire et la Ministre des Armées, avaient été étudiées par le centre aéronautique néerlandais NLR, qui les avait classées en 4 catégories, dont des erreurs de conception et de fabrication. Cela pourrait-il s’expliquer ?

Nous avons vu dans la 1ère partie de l’article la faible disponibilité des hélicoptères militaires, les chiffres, et les mesures prises récemment en France pour verticaliser les contrats de maintenance (Des hélicoptères militaires peu disponibles, du fait de facteurs humains ?! (1) ). Et dans la 2e partie ( La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 Caïman… l’aberration de 23 variantes et 60 standards ! (2/5) ) la spécificité du NH-90 Caïman, et comment ses 23 variantes compliquent la logistique, augmentent le coût du MCO (maintien en condition opérationnelle) et diminuent la disponibilité des hélicoptères.

Troisième piste (pour le NH90 NFH Caïman marine) : la corrosion

Cette troisième piste prolonge la deuxième : une bonne partie des 23 variantes sont navales, ce sont des variantes de la version NFH Caïman Marine.

JPEG - 17.3 ko
Poste tactique utilisé par l’HELAE d’un Caïman Marine pour la lutte anti-surface et anti-sous-marine.

Ces appareils sont appréciés, par exemple le NFH anti sous-marins, entré en service dans la marine française depuis décembre 2014, qui est "un aéronef exceptionnel", qui "va bouleverser la lutte anti-sous-marine", selon le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel, précisant que "les capacités de l'hélicoptère et de son sonar FLASH, développé par Thales, sont tout à fait exceptionnelles". "Je puis vous dire que même les nations dont les budgets militaires sont beaucoup plus importants que les nôtres nous envient le tandem FREMM - NH90", a-t-il souligné devant les députés.( "Le NH90 présente des défauts de corrosion" (chef d’état-major de la marine) )

Mais il se trouve que ces variantes navales sont très sujettes à de la corrosion, alors qu’elles devraient en être protégées, par diverses mesures, très contraignantes au niveau de la conception et de la fabrication de ces hélicoptères.

En fait, contrairement à la plupart des autres matériaux composites, qui évitent la corrosion constatée avec des aéronefs principalement en aluminium, les CFRP (composites à base de fibres de carbone) sont très conducteurs de l’électricité (comme le carbone graphite). Ce qui facilite les « couplages galvaniques » entre des pièces qui ne se touchent pas, mais qui sont fixées au matériau composite. Ce couplage crée une pile électrique (anode, cathode), et peut induire une corrosion très rapide des pièces en métal correspondantes.

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CFRP Polymère renforcé de fibres de carbone

Or le NH-90 fait massivement appel aux matériaux composites CFRP, ce qui explique le gain en masse et les performances exceptionnelles de l’hélicoptère (ainsi que celles du Tigre, qui est 40% plus léger que l'AH-64 Apache états-unien). Il est donc particulièrement exposé à des problèmes de corrosion, surtout sa version Marine, embarquée sur Porte-Aéronefs ou Porte-Avions.

Et la Ministre des Armées Florence Parly avait fait part de son irritation, estimant qu’il restait encore beaucoup à faire pour les NH-90 de l’aéronautique navale. : « J’attends donc de meilleurs résultats sur la disponibilité de cet hélicoptère et je continuerai à être très attentive à vos efforts en ce sens ».

« Il ne suffit pas de concevoir, de construire et d’assembler des hélicoptères, car une fois sortis de l’usine encore faut-il les entretenir pour pouvoir les faire voler  », a fait valoir la ministre. (Mme Parly dit attendre de « meilleurs résultats » sur la disponibilité des NH-90 « Caïman » de la Marine).

Des améliorations étaient cependant anticipées grâce à un nouveau plan d’entretien des appareils, prévoyant d’effectuer les visites périodiques après 900 heures de vol [au lieu de 600 heures, ndlr] et qui devait permettre de gagner « 22% sur l’immobilisation de la flotte » en six ans.

Mais tout ceci a un coût. Dans son rapport sur le projet de loi de finances 2022, le député Cornut-Gentille note que les « autorisations d’engagement sont en forte augmentation, à hauteur de 112,9 millions d’euros [+491%], pour financer des prestations de suivi en service des hélicoptères [pas seulement des NH-90], des améliorations complémentaires du système de soutien et des besoins liés aux hausses économiques. Les crédits de paiement progressent également par rapport à 2021, pour atteindre 273,8 millions d’euros [+ 17 %], auxquels s’ajoutent 9,9 millions d’euros pour les infrastructures  ».

Or, poursuit M. Cornut-Gentille, « le programme NH90 a un impact majeur sur les crédits de la mission Défense, comme en atteste son échéancier de paiement [1,25 milliard d’euros de restes à payer] ». Aussi, estime-t-il, il « convient toutefois de s’assurer que l’équipement donne pleine satisfaction en matière de disponibilité pour justifier un tel effort » car, pour le moment, « ce n’est pas le cas ».(Le taux de disponibilité des hélicoptères NH-90 Caïman reste « particulièrement inquiétant  »)

Ces difficultés semblent irriter la hiérarchie militaire, par exemple l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], mais y aurait-il un black out sur celles-ci dans la presse ? Toujours est-il que nous avons eu beaucoup de mal à trouver des informations précises sur le sujet de la corrosion.

Notre article s’appuiera donc sur le seul document trouvé, réalisé par le NLR (Royal Netherlands Aerospace Centre), et qui date de mai 2014 : nlr rapport over corrosie nh-90. Ce rapport détaille 92 occurrences de corrosion, sur 2 hélicoptères ayant été exposés à des airs salins tropicaux (Somalie et Caraïbes), chacun au bout de 250 heures environ de vol sous exposition saline, et répertoriés dans la classification suivante (dont 14 étant en fait dans deux catégories) :

52 causés par une protection insuffisante contre la corrosion
• 20 causés par une sélection inappropriée de matériaux
• 20 causés par un design inapproprié
• 14 causés par une fabriction inappropriée.

L’inventaire avait été gelé au 20 mars 2014. L’inspection au sujet de la corrosion avait continué depuis, sur l'hélicoptère N227, et beaucoup d’autres occurrences avaient été trouvées, qui ont dû faire l’objet de la version 2 de ce rapport.

« Depuis que le fabriquant a été informé de ces soucis techniques, des solutions ont été apportées et "environ 60%" des problèmes ont été résolus. Pour le reste, les 40% restants, NHIndustries dit avoir besoin de travailler jusqu'en Septembre [2014], pour tenter d'apporter une solution aux autres complications. » (Les Pays-Bas ne veulent pas réceptionner leurs futurs NH-90). Et ces solutions ont dû satisfaire les Pays Bas, puisque les livraisons ont repris depuis.

Mais ce rapport (version 1) reste instructif. Des occurrences de corrosion sont signalées dans toutes les parties de l’hélicoptère, et nous reprenons dans le tableau suivant, toutes celles relatives aux 3 dernières catégories, en mentionnant les références de pièce (ATA-code) :

 

Fuselage

Cockpit

Section arrière

Centrale électrique, transmiss. et rotor

Autour du train d’atterr.

Avant

Central

Pont sup.

Structure interméd.

Queue

 Design inapproprié (20)

24-44

24-33

56-21

49-11

 

93-94

43-31

66-21

55-31

 

53-73

63-12

62-33

62-25

62-25

24-21

32-13

32-13

32-21

95-62

32-42

32-91

 Fabrication inappropriée (14)

 

53-35

53-35

28-12

34-52

52-13

25-97

 

53-51

55-31

55-11

66-14

62-25

32-13

32-42

32-13

 Sélection de matériaux inappropriée (20)

 

56-21

52-13

73-22

21-00

21-54

25-97

63-61

25-12

 

 

71-72

62-32

65-11

63-31

62-25

67-33

63-31

32-13

32-21

95-61

33-46

32-41

Note : une pièce (même code ATA) peut figurer deux fois dans la même catégorie, car elle peut être le lieu de deux occurrences différentes de corrosion ; et une pièce peut aussi figurer dans une autre catégorie, car une occurrence peut être classée à la fois dans deux catégories (deux lignes du tableau différentes).

Ce tableau permet de constater la grande variété des lieux où une corrosion est constatée. Les références (ATA code) permettent de retrouver rapidement les informations correspondantes dans le document PDF cité.

Pour chaque occurrence, le tableau publié permet de connaître le problème rencontré, la ou les causes, les recommandations faites, et si éventuellement l’industriel avait communiqué un ‘service bulletin’ à ce sujet. Signalons d’ailleurs que les deux hélicoptères inspectés ne sont pas tout à fait identiques, puisque le premier (N227, MOC) est supposé un peu moins protégé lors d’opérations en environnement salin, que le deuxième (N233, FOC). Mais tous les deux sont également sensibles à la corrosion :

Appareil NH-90 de la marine néerlandaise embarqué.

Both helicopters are NATO frigate helicopters (NFH), which are designed for use on ships.
N227 is a MOC (Meaningful Operational Capable) helicopter, while N233 is a FOC (Fully Operational Capable) helicopter. The corrosion protection measures are the same on both helicopters. Differences between the MOC and FOC version are, amongst others, the intermediate gearbox housing (aluminium in the MOC and magnesium in the FOC), the nose landing gear and several of the avionics systems.
The FOC version is supposed to be better suited for operations in saline environment but comparison of the corrosion found on the N227 (MOC) and the N233 (FOC) shows that both versions are equally sensitive to corrosion. The corrosion on the N233 is slightly less severe than on the N227 because corrosion preventive measures (grease) are applied to the N233 based on the results of the 300 flight hours inspection of the N227 and because the N233 has less flight hours than the N227. Another difference that may have contributed to the difference in corrosion is the height (above sea level) of the helicopter deck of the ship they were stationed on. This height was significantly larger for the N233 than for the N227.

De très nombreuses photos sont incluses dans le rapport, qui illustrent parfaitement les situations recontrées.et l’ampleur du problème.

Nous nous sommes intéressé plus spécialement au ‘design inapproprié’, pour avoir une idée de l’ampleur des mesures à prendre, hors correction des « insuffisances de protection », des « sélections inappropriées de matériaux » et des défauts lors de la fabrication.

Relevons cependant qu’au sujet de la pièce 21-54 (sélection inappropriée de matériaux), un élément « ne peut pas être atteint facilement », rendant difficile l’opération recommandée. Et ce n’est pas le seul.

Et reprenons aussi quelques exemples d’occurrences de protection contre la corrosion insuffisante, ou d’autres catégories (les deux premières colonnes sont extraites du rapport, la troisième colonne nous permet de donner quelques mots de commentaires) :

53-10 page 15

Le fuselage en CFRP a une couche extérieure en verre pour réduire le couplage galvanique, mais les rivets sont posés à sec. Il en résulte un couplage galvanique des rivets avec le fuselage. Le composant au potentiel le plus faible se corrode lorsque l'eau (salée) peut pénétrer dans les rivets de l'extérieur ou de l'intérieur.

Dans le cas présent, le composant qui se corrode est l'anneau en acier qui maintient la tige du rivet.

Pose humide des rivets lors de leur remplacement. Étanchéité des rivets à l'intérieur avec un composé anticorrosion (CPC)

SR / SB ? Le document ED_NH_227_009 de la SR 1-10302047 décrit les mesures correctives à prendre pour remplacer les rivets (perçage des rivets corrodés et les remplacer, utilisation de rivets surdimensionnés si nécessaire). Il est à noter que le remplacement des rivets n'est pas une procédure simple. Certains des rivets sont très difficiles à difficiles à atteindre par l'arrière, il n'est donc pas possible de soutenir la peau en CFRP pendant le perçage du rivet. Un perçage sans support peut entraîner une délamination de la peau en CFRP près du trou.

Cet exemple, le premier du document, montre qu’une protection insuffisante contre la corrosion n’est pas nécessairement facile à corriger, et que les opérations de maintenance pourraient dans certains cas dégrader les pièces manipulées.

53-10 page 18

Plusieurs boulons et écrous situés derrière le carénage du fuselage avant de l'hélicoptère ; plateaux de montage en aluminium de l'équipement électronique

Le couvercle se ferme à l'aide d'un système d'ouverture rapide et de joints en caoutchouc. Ceci permet à l'eau de pénétrer dans la zone. Les taches d'eau montrent que de l'eau stagnante a été présente. ...

Les plateaux de montage sont boulonnés sur la structure en CFRP sans qu'il y ait d’isolation adéquate pour éviter la corrosion galvanique.

Appliquer un composé anticorrosion sur les fixations et les plateaux de montage (par exemple, de la graisse, un film dur CPC ou un mastic) et prendre des mesures pour empêcher la stagnation de l'eau (par exemple, des trous de drainage). Monter toutes les fixations à l'état humide pour éviter tout couplage galvanique avec la structure en CFRP de l'hélicoptère.

Améliorer l'étanchéité des joints en caoutchouc en utilisant de la graisse sur les joints.

La corrosion n’a pas été anticipée.

53-35 page 19

Fuselage central

Wrong manufacturing

Insufficient protection

La peinture des rails peut être endommagée parce que les composants sont fixés au sol (dommages mécaniques). À ces endroits la corrosion peut commencer si ces endroits entrent en contact avec de l'eau salée.

Le couplage galvanique des rails en aluminium avec la structure en CFRP et les fixations en titane entraîne une corrosion accélérée de l'aluminium.

Selon l'IETP, un produit d'étanchéité devrait être appliqué, mais cela n'a pas été fait.

Isoler électriquement l'aluminium du titane et du CFRP (installation par voie humide des fixations, utiliser une pâte à joint entre les fixations et l'aluminium et entre l'aluminium et le CFRP).

Réparer la peinture lorsqu'elle est endommagée.

Appliquer une protection temporaire contre la corrosion (film dur CPC)

Exemple de défaut de fabrication

53-35 page 20

…. Isolation électrique des panneaux de plancher à partir des fixations par voie humide. Installation des fixations et application de la pâte à joint. L'application d'une pâte à joint ou d'un CPC entre les attaches et les panneaux de plancher ou le scellement des fixations après l'installation empêcherait la corrosion galvanique.

Le scellement des panneaux de plancher permet d'éviter les fuites d'eau dans la partie en dessous.

Selon les manuels, de la graisse TP42 aurait dû être utilisée sur les boulons, mais elle était absente

Autre exemple de défaut de fabrication

28-24 page 23

La condensation de l'eau se produit pendant le ravitaillement sous pression lorsque du carburant froid est introduit. L'eau est piégée derrière les panneaux de la cabine et provoque la corrosion des métaux les moins nobles en contact avec la peau en CFRP.

En outre, une partie du montant de la porte est ouverte pour permettre l'inspection de la valve avant le ravitaillement.

Par ce trou, l'eau salée peut pénétrer à l'intérieur du montant de la porte

-------------------------------------------------------------------

Appliquer un apprêt ou un produit d'étanchéité sur les boulons dans la zone du système de ravitaillement en pression.

Fermez le trou d'inspection avec une fenêtre en plastique transparent pour empêcher l'eau salée de pénétrer à l'intérieur du montant de la porte et sceller la fenêtre

Exemple qui risque de concerner assez vite la version NH-90 TTH. (toutes les occurrences de corrosion risquent de se retrouver aussi sur la version TTH, mais un peu moins rapidement)

Mais il n’y avait pas (encore) de Service Request (SR), ni de Service Bulletin (SB).

 

Le tableau suivant reprend une partie des occurrences signalées (‘design inapproprié’), avec un extrait des écrits à son sujet, plus quelques mots de commentaires de notre part.

24-44 page 17

Fuselage, Avant

Une infiltration d'eau est possible alors que le drainage de la zone n'est pas prévu. Cela entraîne la stagnation de l'eau et la corrosion possible du support en aluminium.

Améliorer l'étanchéité de la trappe, par exemple avec de la graisse ou un film souple CPC entre la trappe et le fuselage.

Permettre la vidange de la niche pour éviter la stagnation de l'eau.

Les occurrences de corrosion ont elles été sous-estimées ?

24-33 page 18

Fuselage, Avant

De l'eau stagnante a provoqué la corrosion du support en aluminium

Empêcher l'eau de stagner en scellant l'entrée et en ajoutant un trou de drainage.

Sceller le support pour éviter tout contact avec l'eau. minium.

Les trous de drainage sont proposés plusieurs fois dans ce document. Il semble bien qu’ils n’ont pas été prévus en nombre suffisant.

49-11, page 38

Fuselage, Pont supérieur

Présence d’une crique d’environ 1.3mm près d’un trou. La corrosion est supposée avoir joué un rôle dans la formation de cette crique. Redessiner le support, en évitant les nombreuses crevasses présentes dans l'étrier montré.

La présence d’une crique interpelle, après seulement 250 heures de vol en environnement salin (tropical).

Une pièce (l’étrier, ‘bracket’) serait à reprendre (conception, fabrication).

55-31 pages 73 74

Section arrière, Structure intermédiaire

Les trous d'évacuation de l'eau sont situés pour le drainage de la structure en géométrie opérationnelle [queue dépliée]. Lorsque la queue est repliée, les trous de drainage ne sont plus à l'emplacement le plus bas, ce qui fait que l'eau est piégée dans la queue. Cette eau stagnante provoque des taches et, finalement la corrosion des composants métalliques (principalement les fixations du pylône de queue, mais aussi les cadres et les supports en aluminium). … Il est préférable que le rinçage de l'hélicoptère après une mission en mer se fasse avant de replier l'empennage. Toutefois, les procédures prescrivent que les pales et l'empennage soient repliés dans les 20 minutes suivant l'atterrissage sur un navire (en ‘haute mer’). Des trous de drainage supplémentaires auraient dû être mis en place pour permettre d'évacuer l'eau quand la queue est repliée.

La corrosion a-t-elle été sous-estimée ? La procédure d’évacuer rapidement l’hélicoptère du pont était-elle connue des concepteurs ? La position du point bas (queue en position repliée) a-t-elle été vérifiée ?

Les recommandations laissent entendre que des trous supplémentaires de drainage seraient possibles, auquel cas cela n'aurait probablement pas été trop compliqué d'y remédier.

Ce ne sont que des extraits. Et il y avait d’autres occurrences, traitées dans la version 2 du rapport. Ces éléments donnent cependant une idée de la variété des problèmes, et des modifications qu'il y avait à faire, dans les différentes parties de l’hélicoptère.

Les ‘Service Bulletins’ étaient très rares (un seul est cité avec son numéro), certains à venir étaient annoncés. Voici tout ce qui est noté :

52-13 page 26

SR : 1-10180263

Un bulletin de service sera émis : remplacer la charnière si elle est corrodée et utiliser un produit à film fluide (AV25) pour prévenir la corrosion et l'accumulation de sel.

Ceci est en contradiction avec l'IETP (Interactive Electronic Technical Publication).

Un BS est émis qui prescrit un test mensuel du système de largage.

28-12 page 27

Un SB sera émis : la solution temporaire consiste à placer une cale en verre entre la peau en CFRP et la plaque d'aluminium. La solution permanente consistera à appliquer un revêtement en verre dans la zone du réservoir de carburant sur laquelle la plaque d'aluminium sera montée. Notez que les boulons à utiliser doivent être installés par voie humide pour éviter le couplage galvanique de la plaque d'aluminium au fuselage en

62-33 page 99

SR 1-10985303

SB JA-A-62-33-00-02A-A-A-001 : scellement de la tige de tangage pour éviter les entrées d'eau

66-15 page 107

SB : utiliser des capuchons pour empêcher l'infiltration d'eau lorsque l'hélicoptère est sur le navire. Les capuchons couvrent l'actionneur de pliage manuel

Il est fait mention de ‘Service Requests’ en (un peu) plus grand nombre : 18 en tout, y compris ceux mentionnés ci-dessus. Soit seulement dans un cas sur 5 (18 sur 92).

Tout ceci est un peu surprenant, puisqu’en mars 2014 les Caïman Marine avaient été mis en service depuis plusieurs années, par exemple, depuis le 8 décembre 2011 pour la France (La Marine nationale reçoit son 27e [et dernier ?] hélicoptère NH-90 Caïman…). Et puisque les occurrences signalées se sont produites après seulement 250 heures de vol en environnement salin (tropical).

Cela voudrait-il dire que ces occurrences n’avaient pas encore eu le temps d’apparaître dans des environnements salins non tropicaux ?

Quelle que soit la réponse à cette question, tous les exemples donnés peuvent expliquer, au moins en partie, pourquoi il fallait (jusqu'à récemment) 25 à 30 heures de maintenance par heure de vol de NH-90 Caïman. En tenant compte des (longues) périodes de reprise par l’industriel.

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Dauphin sur le pont du porte-avions Charles de Gaulle

Ces éléments peuvent faire penser que la corrosion n’a pas assez prise en compte, ni à la conception, ni à la fabrication. Cela pose plusieurs questions, dont celles des compétences des concepteurs, chez Airbus Helicopters et chez Agusta Westland Leonardo. Selon l'amiral Bernard Rogel cela provient « d'une perte de compétence de l'industriel, qui du reste l'a reconnu". ("Le NH90 présente des défauts de corrosion" (chef d’état-major de la marine) )

L’industriel, mais de qui s’agit-il : NHI, Airbus Helicopters ou Leonardo ?  Les compétences anti-corrosion devaient exister chez Airbus Helicopters, puisque par exemple le fuselage du Dauphin a été conçu pour être protégé de cette corrosion (Dauphin AS365) ; les personnels correspondants seraient-ils partis depuis à la retraite ?

Une répartition du travail entre Leonardo et Airbus Helicopters, qui pouvait sembler logique…

C’est Leonardo qui était chargée officiellement du NFH Marine, alors qu’Airbus Helicopters s’occupait du TTH, moins vite exposé à la corrosion. Cette répartition peut sembler logique, puisque Leonardo a une part de marché plus faible que Airbus Helicopters et que la version Marine est commandée en nombre moins important que l’autre version TTH. Quant au principe de confier une version principale à chaque hélicoptériste, cela semble raisonnable, à condition cependant que le travail sur les deux versions ait pu être réalisé en parallèle de façon appropriée (voir ci-dessous), puisqu'elles devaient partager 75% des pièces.

Mais les défauts de corrosion constatés posent des questions sur les processus de conception de ces deux versions principales, les éventuelles revues de projet, les comités de pilotage par exemple. Ont-ils bien intégré les questions relatives à la corrosion, systématiquement ?

.. mais il fallait pouvoir travailler en parallèle sur les deux versions principales (NFH et TTH)…

Les exemples donnés ici, repris du document très complet, montrent bien les très nombreuses difficultés auxquelles il aurait fallu parer. Et les nombreuses précautions citées, à prendre contre la corrosion, contre l'entrée d'eau salée et sa stagnation dans l'hélicoptère, montrent que la version NFH est encore plus complexe à réaliser que la version TTH.

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Queue NH-90 en cours de pliage

Et ces questions sont à prendre en compte dès la conception. Par exemple (pièce 55-31) pour s'assurer que le point bas dans la queue, quand elle est repliée, est également le point bas quand la queue est dépliée. Ou, si ce n'est pas le cas (ici), il faut s'assurer que l'eau pourra s'écouler vers l'extérieur. Autre exemple : il faut pouvoir accéder facilement à certaines pièces, si elles risquent fort de devoir être remplacées lors de la vie de l'hélicoptère.

Et ces précautions devaient être prises aussi pour la version TTH puique les deux versions devaient partager 75% des pièces. Et les deux versions devaient être conçues en parallèle, avec une communication intensive entre les deux équipes, pour que les pistes explorées par une équipe puissent être vérifiées en même temps par l’autre équipe (concurrent engineering ?) : les précautions pour éviter la corrosion imposent des conditions très strictes sur les matériaux utilisés, pour éviter le couplage galvanique.

Mais cela suppose évidemment que les paramètres et les mesures anti-corrosion soient connus par les deux équipes. Comme cela ne semble pas avoir été le cas, il ne faudrait pas s’étonner de ce que des situations aberrantes puissent avoir été créées.

…alors qu’il s’agissait de faire travailler ensemble des entreprises concurrentes !

De plus, cela peut poser beaucoup de difficultés dans le cas d’un consortium rassemblant deux sociétés concurrentes : Airbus Helicopters et Leonardo, puisque l’échange d’informations entre les équipes doit être maximal, alors que ce n’est pas a priori ce qui est recherché dans une alliance ponctuelle de deux concurrents ("coopétition", coopération entre deux compétiteurs).

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Treuillage depuis un Dauphin

L'expérience acquise sur les appareils Aérospatiale-Eurocopter a-t-elle été pleinement prise en compte par Leonardo(et réciproquement) ? Par exemple, sur l'hélicoptère Dauphin : l'eau dégoulinant de personnes sauvées en mer était récupérée dans une caisse en plastique placée au niveau du plancher, ce qui évitait la présence d'une dizaine de litres (pour deux personnes) d'eau salée à des endroits très indésirables. Les retours d'expérience des deux hélicoptéristes ont-ils été valorisés ?

Nous développerons ces aspects, relatifs à la coopération, dans la 4e partie de l’article.

Conclusion temporaire : la corrosion constatée sur le NH-90 Caïman, et en particulier sur la version Marine exposée à l'air marin, complique la maintenance de ces appareils, contribue à diminuer leur disponibilité et à augmenter le coût de maintien en condition opérationnelle. Les occurrences de corrosion relevées semblent montrer que ces questions n'avaient pas bien été anticipées par NH Industries. Du fait apparemment de compétences insuffisantes chez l'industriel sur ces questions, mais peut-être aussi du fait d'une coopération difficile potentiellement entre deux hélicoptéristes concurrents.

Nous allons approfondir dans la quatrième partie les questions liées à la façon de gérer la coopération, au sein du consortium NHI, si elle aurait pu être différente. Et dans la cinquième partie ce qu'il conviendrait de faire pour limiter les conséquences négatives des problèmes constatés, et en particulier du nombre trop élevé de variantes.


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3 réactions à cet article    


  • mmbbb 17 septembre 2022 11:42

    Article intéressant reprenant la même thématique a savoir la négligence de la chaine de décision notamment la DGA qui a priori n a pas fait son boulot

    Je croyais encore naivement que l armée est un des dernier ministère ou tout était carré

    Quant à la corrosion, je sui étonné que la fibre de carbone soit altérée par l eau de mer C est une fibre inerte non sujette a des phénomènes d oxydo réduction tel le fer ou le metal

    Dans les yachts de lkuxe dont la coque est en alu , celle ci est protégée par un primaire epoxy et recouverte d un vernis polyuréthane bi composant et résistant a l air salin et au UV !


    • Laurent Simon 17 septembre 2022 12:54

      @mmbbb
      Ce n’est pas la fibre de carbone qui est altérée, mais les pièces métalliques qui y sont fixées qui rouillent. La fibre de carbone se limite à conduire l’électricité, mais cela a des effets dévastateurs !


    • mmbbb 17 septembre 2022 16:38

      @Laurent Simon je comprends mieux ! Mais votre explication portait à confusion 
       Il est étonnant que la DGA ait accepté ces hélico en sachant que l air marin est salin donc corrosif .
      Je bidouille aussi un peu en electronique et en HI HI .
      le constructeur francais de hauts parleur PHL AUDIO garantit ces produits « tropicalisé » Lors d un forum il y a fort longtemps ceux ci etait trempe dans l eau pour demontre leur resistance
      Idem pour un condensateur dit professsionnel il fonctionne pendant 100 000 heures à une température de 85 degre avant qu il ne claque ect ect

      Je suis encore naif , je pensais que l armée et les divers organisme de décision et de contrôle etaient encore serieux . Apparemment non

      Ces problèmes évoqués n auraient pas dû etre constaté à postériori

      j espere que le sous marin Suffren n a pas ses tôles usinees en Chine ou en Inde pour des raisons de cout  !!

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