« Ne pas entrer : Raptors en liberté... »
« No trespassing : raptors loose » indique la pancarte à l'entrée d'un site de construction en périphérie d'un village en grande partie déserté à Boca Chica, dans le sud du Texas. Pas de dinosaures en vue, mais des moteurs d'une technologie inédite et brûlant du méthane qu'on peut croiser parfois, sur une palette... Dans cet endroit en bord d'océan, à 3km de la frontière mexicaine, une fourmilière d'ingénieurs, de techniciens et d'ouvriers de chantiers construisent un site unique d'où se sont déjà envolées des « citernes volantes » et depuis peu des prototypes d'un engin spatial dont une version modifié posera les prochains humains sur la Lune, suite à la décision de la NASA, hier soir de les choisir pour la construction du successeur du LEM qui posa les astronautes des missions Apollo sur notre satellite il y a 50 ans...
Le schéma retenu sera sensiblement différent de celui des missions « Apollo » puisque pour assumer des choix (dé)passés, les astronautes iront jusqu'à l'orbite lunaire dans une capsule « Orion », plus spacieuse mais pas fondamentalement différente de module de commande des années 1960/1970, lancée par la fusée « SLS »que la NASA finit d'assembler. Fondamentalement cette fusée est la fille de la navette spatiale, réutilisant les mêmes moteurs et les « mêmes » fusées à poudre.
Après quelques minutes de vol, le tout finit au fond de l'océan pour « respecter la tradition » pendant que la capsule propulsée par un module européen, prépare son envolée vers la Lune. En orbite lunaire, la capsule rejoindra l'atterrisseur de SpaceX, le « Starship » qui est au LEM des missions « Apollo », ce qu'un « A380 » est à un avion monomoteur biplace d'aéroclub. Les astronautes des missions lunaires passées disposaient de quelques m3 sur le sol lunaire pour se dégourdir les jambes, dormir, enfiler leur scaphandre. Le « Starship » lunaire disposera d'un volume identique à la cabine passager d'un « A380 » ou celui de la station spatiale internationale en orbite depuis 20 ans.
L'atterrisseur des années 1960 pesait de l'ordre de 10 tonnes sur le sol lunaire.
Le « Starship » pourrait afficher près de 200 tonnes, plus de 100t de charge utile.
Il est vrai que les objectifs ne sont plus les mêmes. Plus de « tourisme » justifié par quelques expériences déposées sur le sol lunaire et la démonstration de force face à l'URSS. La NASA veut pouvoir faire vivre ses astronautes sur le sol lunaire, aimerait disposer d'une base, construire des infrastructures, exploiter les ressources locales, tout ce qui était impensable pour des raisons économiques bien plus que techniques dans les années 1960 et jusqu'ici.
Les deux compétiteurs perdants (une équipe dirigée par Dynetics, l'autre par « Blue Origin ») ne proposaient en réalité qu'une extension modérée des missions du passé tout en étant bien plus chères mais bien plus simples aussi.
Le choix documenté de SpaceX s'explique par la confiance qu'à la NASA que SpaceX peut délivrer le matériel promis (leur passé parle pour eux), les capacités du « Starship » totalement inédites sur le sol lunaire, avec des masses et des volumes délivrés au sol sans aucune comparaison avec le passé ou la compétition actuelle et surtout les moyens budgétaires actuels de la NASA qui dépend entièrement du Congrès pour son financement.
Pour résumer, le choix du « Starship » était le plus complexe techniquement, celui offrant les capacités les plus riches, le moins cher des trois projets (de loin) et celui offrant les meilleures perspectives de coût à moyen et long terme.
Comme pour les navettes avec l'ISS, la NASA favorise les moyens de transport et les véhicules habités les plus susceptibles de vols fréquents et d'utilisation civiles.
Avec un vol ou deux vols par an de prévu pour le « SLS » à 2 milliards de dollars le vol (cas de le dire...) la NASA sait ne pas pouvoir développer dans les limites de son budget une base voire une économie lunaire. Le « Starship » qui est prévu en base pour une utilisation fréquente pourrait coûter des dizaines de fois moins cher à lancer, ce qui laisserait à la NASA des moyens de financer des charges utiles, qu'elle n'a pas aujourd'hui.
Pour les ordres de grandeur elle a déjà dépensé plus de 50 milliards de dollars pour disposer de son lanceur et de sa capsule. SpaceX a proposé un système « clef en main pour moins de 3 milliards, incluant un atterrissage sans pilote et un vol avec astronautes qui serait donc le premier atterrissage depuis le début des années 1970.
Une telle offre a été possible, car le « Starship » lunaire n'est qu'un dérivé de la version de base développée sur fonds propres pour les voyages martiens, le lancement de satellites et éventuellement le lancement sur Terre de point à point.
Il est prévu d'en fabriquer en série, des centaines au bas mot, rien à voir donc avec le « Saturn-V » ou sa version relookée « SLS ».
Dans quelques mois, une tour de lancement de 146m de haut se dressera à proximité de Boca Chica. Elle servira au lancement des premiers prototypes de la fusée « martienne » de Elon Musk qui fera donc un détour par la Lune, sans doute vers 2026 ou plus tard. Quand la vingtaine de « Raptors » s'allumera pour la première fois en produisant deux fois la poussé au décollage du Saturn-V, la fusée bi-étage entièrement réutilisable de 120 m de haut qui montera vers les nuages lancera la course à la Lune, une fois encore mais en ouvrant en grand, cette fois ci les portes du système solaire.
Les étapes techniques à franchir sont redoutables, même si la NASA met ses infrastructures et son personnel au service de SpaceX pour les résoudre si besoin est. Starship « SN8 » a prouvé il y a quelques mois que la « manœuvre Adama », basculement à l'horizontale en vitesse de chute libre, et le « basculement sur le ventre » (passage à la verticale en approche du site d'atterrissage) sont réalistes.
Il reste à solutionner la stabilité du régime moteur pendant cette phase très dynamique. Il faudra ensuite valider le concept de bouclier thermique inédit (fixé mécaniquement sur la paroi en acier inox du vaisseau) et enfin le ravitaillement en vol à l'échelle de centaines de tonnes de carburant.
Dans quelques années, un vaisseau de 40m de haut, se posera sur le sol lunaire. Il devra tout à l'idée fixe d'un homme, Elon Musk, de coloniser la planète Mars et au courage de la NASA d'avoir choisi de mettre ses bailleurs de fonds devant leurs contradictions.
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