Immigration : stop ou encore ?
Sujet qui fâche. Sujet longtemps tabou. Ce serait déjà une raison suffisante pour en parler. Ce n’est pas la seule : l’immigration sera probablement un des thèmes de la campagne présidentielle de 2012. Le renversement des dictatures d’Afrique du Nord laisse présumer un afflux de candidats à l’immigration. Les milliers de tunisiens en attente sur l’île de Lampedusa en seraient la démonstration et le prologue.
Selon Le Figaro du 22 février :
« La chute du président Ben Ali, rapidement suivie de l'arrivée de 5500 Tunisiens sur l'île italienne de Lampedusa, n'était peut-être qu'un signe avant-coureur. Les désordres en Libye, plaque tournante du trafic de clandestins vers l'Europe, laissent craindre une déferlante incontrôlable. »
Peut-on aujourd’hui se représenter l’immigration avec moins d’émotion et penser ce qu’elle sera dans l’avenir ? Faut-il continuer à ouvrir l’Europe et la France aux immigrés ou doit-on instaurer un moratoire comme le propose le Front National, mais aussi d’autres groupes politiques au Canada, en Australie ou en Suisse par exemple ?
L’immigration : une nécessité
Considérons d’abord que les mouvements de populations ont toujours existé. La colonisation de la planète par Homo Sapiens fut le premier. Il dura des centaines de milliers d’années.
Ces mouvements ont des causes majeures. D’une part les guerres qui chassent les habitants de leurs terres. D’autre part les aléas climatiques - sécheresses, refroidissements entre autres - pouvant déclencher des famines. Rien qu’en Europe, en 1816, lors de l’année sans été pendant laquelle il gelait au mois d’août, les récoltes furent perdues et l’on estime à au moins 200’000 le nombre de décès en Europe. La cause ? L’explosion du volcan Tambora en Indonésie, un an plus tôt. On a également compté, au 19e siècle, des milliers de Suisses émigrant principalement vers l’Amérique et l’Australie.
Les déplacements des minorités persécutées dans certains pays participe au flux des migrations, comme celle des juifs vers la France il y a plus d’un siècle, qui fuyaient les pogroms d’Europe de l’est.
Les migrations sont donc d’abord une nécessité de survie pour des populations entières. Elle sont aussi une nécessité économique pour le pays qui accueille. En France la révolution industrielle avait besoin de bras. Le pays ouvrit ses frontières à une immigration d’origine européenne dès les années 1850. Une seconde grande vague eut lieu dans la première moitié du 20e siècle, puis une troisième dès la fin de la colonisation dans les années 1960 et jusqu’à aujourd’hui. L’immigration apporte une main d’oeuvre et permet de compenser le dépeuplement et le vieillissement progressif de la population.
Les conditions de l’immigration
Les première vagues ne posèrent pas de problème culturel majeur. Les immigrants venaient d’Europe : Allemagne, Italie, Pologne, Suisse, entre autre. Autochtones et immigrants partageaient la même religion et en partie la même histoire.
L’immigration africaine partageait en partie la langue, mais pas la culture ni la religion. On a vu avec le temps que cette différence est majeure et parfois compliquée à gérer.
On peut rêver d’un monde sans frontières, sans religion, vivant en paix et en fraternité, comme le chantait John Lennon. Mais dans les faits ce n’est nulle part ainsi. Même pas dans les familles. Comment voudrait-on que cela se réalise d’un coup entre les peuples ?
Dans les faits, l’immigré quitte une terre - plus : un territoire qui définit son appartenance et une partie de son identité. Il renonce à quelque chose au profit d’autre chose. Il semble normal qu’il doive s’adapter aux moeurs et coutumes du pays où il se rend. N’importe quel immigré, n’importe quel voyageur, quelle que soit son origine, fait ainsi quand il va dans un autre pays : il s’adapte. Il y a là un respect fondamental de celui qui vient vers celui qui accueille. Les positions ne sont pas symétriques.
Pour sa part celui qui accueille doit aussi un respect à celui qui vient faire tourner son industrie. Il faut des conditions de logement, d’apprentissage ou de perfectionnement de la langue, d’intégration culturelle et sociale. C’est le moindre des respects d’humain à humain. Sans accompagnement l’immigration montre vers quoi elle mène : à un communautarisme de personnes abandonnées à elles-mêmes et à un risque de désintégration sociale.
Tout pays qui accueille des immigrants doit donc se questionner, pour son propre bien et pour celui des étrangers qu’il accueille :
- a-t-il défini et mis en place l’accompagnement nécessaire à l’intégration sociale et culturelle des immigrants ?
- doit-il accueillir des immigrants de la même origine culturelle, musulmane en l’occurrence, ou diversifier les origines ?
- considérant comme le soulignait Claude Levi Strauss qu’en matière d’immigration il y a un seuil de tolérance, le pays d’accueil doit-il poser des limites quantitatives d’immigrants par ville ou quartier, pour faciliter la cohabitation entre immigrants et autochtones ?
- et en corollaire, faut-il éviter toute concentration d’immigrants de la même origine dans les mêmes quartiers ?
Ces quelques questions permettraient-elles de dépassionner et de dépolitiser quelque peu le débat ? Et peut-on parler de l'immigration de culture musulmane - dominante en Europe depuis plusieurs décennies - sans provoquer des réactions dépourvues de raison et de réflexion ? Plus loin : est-il encore possible de refuser fermement l'islam, puisque cette immigration le véhicule et que c'est à lui que la population réagit ? Ou bien faut-il déculturer ces immigrés, leur couper leurs racines et leur origine, ne pas oser dire ce qui nous plaît - le couscous, la musique - ou nous dérange - la religion ? D'où vient que la parole serait interdite ? Où en serions-nous si les démocrates du 19e siècles n'avaient osé prendre langue sur la religion ?
Et l’avenir ?
L’Europe vieillit, sa population est en baisse et se renouvellera de moins en moins si rien ne change. Une aisance matérielle, la contraception, la labilité des couples modernes, la peur des catastrophes écologiques et économiques, soit globalement une perte de l’impulsion à vivre et de la foi dans l’avenir ont fragilisé nos populations. A cela s’ajoute une rupture légitime d’avec le passé sans avoir encore reconstitué une vision nouvelle et stable de l’humain.
La population européenne vieillit donc et l’immigration paiera en partie les retraites européennes. Elle est donc vitale dans les pays qui ont choisi ce système de retraites. Mais faut-il d’abord vivre sur la peur de l’avenir ou pouvons-nous encore nous donner le droit de la choisir ?
Et surtout, quelle Europe voulons-nous dans 100 ans, époque où certaines projections annoncent un continent majoritairement musulman ? Si ces projections sont fondées, voulons-nous d’une Europe musulmane, dominée par une religion qui n’a pas encore fait de révolution culturelle propre à relativiser son absolutisme ? Le christianisme l’a fait, mais après combien de siècles de douleur ! La séparation entre religion et Etat n’est pas encore un concept assez clair dans l’islam. De plus la prétention à être la seule vérité est étouffante intellectuellement pour des gens qui ont appris à penser par eux-même. Les religions changent et passent, l’organisation de la cité reste. La gestion du vivre ensemble est l’affaire de tous, la religion est l’affaire de chacun.
L’immigration fait de toute évidence partie du vivre ensemble et de la vision d’avenir que l’on se fait du pays où nous vivons. Il ne me paraît pas abusif de dire que plusieurs pays d’Europe ont mal à leur immigration, et à leur islam, comme ils ont eu mal à leur christianisme il y a plus de 100 ans. Il ne me paraît pas abusif de dire que l’arrêt de l’immigration est une option au même titre que sa continuation ou la modification de ses conditions et de ses origines. Ne pas le dire c’est faire l’autruche. Et je ne crois ni à l’efficacité ni à l’honnêteté intellectuelle, et encore moins au courage politique, d’une politique de l’autruche.
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