À l’affiche : la soupe aux tournesols
De quoi est faite l’écologie politique ?
Le 14 octobre, à la National Gallery de Londres, deux activistes de Just Stop Oil ont aspergé un des tableaux « Les Tournesols » de Van Gogh avec de la soupe à la tomate. La vidéo de ce geste de vandalisme modéré a été visionnée près de cinquante millions de fois. Cela prend la forme d’un événement, suscitant débats et controverses, les activistes voulant créer de la prise de conscience. Ont-elles obtenu cette prise de conscience suite à cet « événement » ? La prise de conscience est-elle une bonne réponse aux problèmes écologiques de l’humanité ?
Un tel geste est un spectacle de la société du spectacle. Rien de plus.
Il y eut plusieurs actions de ce type dans plusieurs pays. Florence, 22 juillet, des activistes d’Ultima Generazione collent leurs mains sur le Printemps de Boticelli. Même chose, en septembre, à Venise, sur le Printemps de Giorgione… à Lausanne, sur la Maloja en hiver de Giovanni Giacometti au Musée des Beaux-Arts.
Il a fallu attendre, pour les activistes, le 14 octobre pour que les médias informent le grand public de ces gestes. Le 23 octobre, Letzte Generation a jeté de la purée sur Les Meules, de Monet, au musée Barberini à Postdam, en Allemagne. D’autres tableaux ont été « touchés », la jeune fille à la perle, la statue de cire du roi Charles III…
Just Stop Oil qui milite pour l'arrêt immédiat de tout nouveau projet pétrolier au Royaume-Uni, a programmé une action par jour pendant tout le mois d'octobre. Souvent, ils bloquent les carrefours. Au moins, cela touche ceux qui passent et se trouvent dans les embouteillages, cela a un effet dans le réel.
Nous n'avons que faire de coups d'épée dans l'eau, censés nous dire à quel point l'eau est belle et nécessaire à la vie... accompagnés de nombreux discours "explicatifs" en disputes croisées les uns des autres (ces disputes qu’on appelle, comme on répugne à parler français, le « buzz », à prononcer beuze).
Alors que nous devrions tout lâcher pour maintenir la planète en état de nous maintenir, nous nous exaltons pour des artéfacts qui ne « dérangent personne », c’est-à-dire ne posent aucun problème et n’apportent aucune solution.
De nombreux débats s’enclenchent pour évaluer l’intérêt de ce type d’action, dont fait partie cet article. On pourrait faire le bilan carbone de ces débats et controverses. Pendant ce temps-là, tout continue comme avant et pour bien me faire comprendre dans cette France qui répugne à parler français, c’est le business as usual qui gagne.
Selon moi, l’erreur fondamentale est de croire que les actions sortent des idées. D’où, les actions sociétales sortiraient des idées sociétales, des idées partagées par le plus grand nombre, des accords collectifs tacites, des cultures, en quelque sorte, des états d’esprit, des mentalités, pour employer un mot un peu oublié. Et subséquemment, changer ses idées considérées comme initiales, sources des actes, changera les comportements, les actions quotidiennes de chacun, et la cause étant tarie, les problèmes s’aplaniront d’eux-mêmes. Un autre nom de cette erreur pourrait être : « idéalisme ».
On entend des formulations de ce type : « l’Homme s’est arrogé le droit de faire travailler les animaux pour lui, de les nourrir, les tuer et les manger… » pour dire que si l’Homme se rend compte du caractère odieux de ce « droit », il va y renoncer et tout va être autrement ! Cet autrement n’est pas explicité, ce qui fait partie de problème, de l’invalidité de cet idéalisme. On peut penser que, dans le monde issu de la bonne mentalité, il y aura peu de vaches, mais des vaches heureuses, moins de vaches, donc moins de méthane, moins de prés qui prennent tant de surface à la Terre, on va pouvoir reforester dans ces surfaces libérées, donc on va le faire, puisqu’on aurait la bonne mentalité pour le faire on va reforester… et le CO2 diminuera… etc.
Je ne sais pas si je l’explicite correctement, puisqu’il n’y a pas le commencement d’une explicitation concrète de la part de ceux qui prônent ces actions symboliques. Ceux qui défendent cet idéalisme diront que non, et même le récit que je fais montre que je n’ai rien compris. C’est ce que je ferais, si j’étais à leur place.
Si l’homme a fait travailler certains grands mammifères, ce n’est pas parce qu’il s’est arrogé un droit. C’est parce qu’il a ses capacités d’homme, son intelligence, le langage, la projection dans le temps… et que les animaux n’ont pas ces capacités. Des animaux acceptent de se faire manœuvrer par l’homme et d’autres non. Le zèbre, non. Il n’y a pas eu d’assemblée législative pour établir un droit du zèbre à ne pas être obligé de tirer la charrette de l’homme. L’éléphant d’Asie rend des services aux hommes et l’éléphant d’Afrique non. Ce n’est pas le produit d’une législation et les Indiens ne se sont pas arrogé le droit de faire travailler les éléphants qui vivaient autour d’eux.
Tout ce mode de pensée ne correspond pas à ce qui se passe.
Mettons que la soupe aux tournesols nous ait permis de « ressentir le même élan de protection pour la beauté qui s’étend à l’extérieur du cadre – la beauté de notre monde matériel et de chaque personne en lui… », selon la déclaration d’une des activistes, Anna Holland. Admettons qu’on ait besoin de ce geste, ou que ce geste nous aide. Que fait-on ensuite ? Admettons que le problème soit de ressentir « la beauté de notre monde naturel et de chaque personne en lui… », admettons que le problème de l’écologie soit dans le domaine de la beauté du monde, qu’on ne verrait pas, que nous ne verrions de beauté que dans l’art… que fait-on ensuite ?
Ces actions sont sous-tendues par une « substitution du symbolique au réel », pour le dire plus simplement : la question du « faire » n’est pas posée. « Qu’est-ce qui a le plus de valeur, l’art ou la vie ? » nous demandent les activistes. Ma question, sur ce type de sujet, est : « Quelle valeur aurait la vie sans l’art ? » De toute façon, aucun de ces deux questions n’est adaptée aux problèmes écologiques que l’humanité s’est créés.
Ce type d’actions passe sous un titre : la désobéissance civile. À mon sens, cette expression doit être interrogée dans deux dimensions : correspond-elle aux types de gestes dont on parle ? et la désobéissance civile est-elle enviable ? Nous, les humains, faisons, tant bien que mal, société ; nous sommes, par la force des choses, des sociétaires, nous sommes associés, c’est ainsi, nous n’y pouvons rien. La civilité est l’ensemble de ces règles plus ou moins intelligentes, plus ou moins stupides, pour ne pas trop se heurter… Des voisins se croisent devant les boites aux lettres et se disent « bonjour », alors qu’ils sont très indifférents l’un à l’autre. Désobéir suppose un ordre ou une commande…
Dans une époque lointaine, certains déduisaient de leurs impôts la part consacré à l’armée, par antimilitarisme. Ils entraient dans un dédale de conflits avec les impôts, dans lequel ils finissaient toujours perdants, mais qui servait de caisse de résonnance à leurs idées. Je ne sais pas si ce type de désobéissance civile existe encore. En tout cas, c’est bien de la désobéissance, et c’est bien un domaine civil.
La chanson « le déserteur » de Boris Vian narre une désobéissance civile et appelle à ce que d’autres fassent de même : je ne participerai pas à la guerre, alors que je sais bien que c’est l’État qui me le commande.
Je ne vois guère de désobéissance dans ce type de geste anti-civil. Désobéissance civile donne un titre de gloire aux activistes un peu usurpé.
Dans cette même confusion entre les dimensions de la vie, on trouve ce qui s’est appelé « l’affaire du siècle » : la condamnation de l’État français par un tribunal administratif pour « inaction climatique ». Symbolique sans efficacité réelle. Ce n’est pas la justice qui est un des trois pouvoirs qui va contraindre le gouvernement. Avec quel moyen pourrait-il le faire ?
Les institutionnels de la politique qui se font élire pour pratiquer de l’écologie (EELV) sont muets sur le sujet de l’écologie. Sandrine Rousseau amalgame écologie et féminisme, et instruit des affaires de mœurs réglés par le crédit à la plainte des femmes, la suppression du droit de la défense, de la présomption d’innocence, l’exclusion du ministère de la justice (en opposition avec « l’affaire du siècle »)… C’est elle qu’on entend et elle parle d’autres choses.
On ne parle pas du fait que la France vient de quitter le Traité sur la Charte de l’Énergie. Pour devancer les préventions, je précise que je ne trouve pas que ce soit un acte merveilleux et que je ne fais pas l’éloge de notre président. Je dis seulement que c’est un acte d’écologie politique (dans le réel) et qu’on parle d’autres choses.
Nous devrions prendre nos problèmes à bras le corps au lieu de nous empoignez sur des gestes sans efficace.
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