Minsk-2, le parfum de l’hypocrisie : « endosser » ou « odobrjatj » ?
La presse française fourmille de commentaires sur les accords qui ont été signés hier à Minsk, et qui, selon les termes utilisés par Hollande lors de l'intervention qu'il a faite devant la presse, avec Merkel, à l'issue de la rencontre, constitueraient "un accord sur un cessez-le-feu et sur un règlement politique global de ce conflit ukrainien".
La chancelière allemande a, quant à elle, évoqué son "absence d'illusions" quant aux difficultés à venir. On la croit volontiers, d'autant que quelques heures plus tard, les premières difficultés ont commencé d'apparaître.
Quels accords ?
En fait de règlement politique global, la chancelière allemande, les présidents français, ukrainien et russe réunis à Kiev se sont bornés à signer une déclaration commune par laquelle, après avoir réaffirmé leur attachement à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ils déclarent "endosser" un autre document, rédigé lui en anglais, et intitulé "paquet de mesures pour la mise en œuvre des accords de Minsk", adopté et signé le même jour à Minsk, et se référant au protocole signé à Minsk le 5 septembre 2014 et au mémorandum du 19 septembre 2014.
Pour un juriste, le terme "endosser" pose immédiatement un problème d'interprétation. En droit bancaire, l'endos entraîne une garantie, mais en droit international, le terme est inconnu. "Endosser un paquet de mesures" n'a pas grande signification, il suggère l'existence d'un accord. Mais s'il s'agit d'un accord, pourquoi ne pas avoir utilisé un langage plus simple ?
Dans l'intention probable d'apporter une précision, le texte de la déclaration commune signée hier prévoit que "les dirigeants contribueront à ce processus et useront de leur influence sur les parties concernées pour la mise en œuvre de ce paquet de mesures."
Le texte russe de la Déclaration est plus clair et plus prosaïque, puisque le terme utilisé pour "endosser" est celui de "odobrjatj'", ce qui signifie "approuver".
Querelle inutile de traduction, ergotage oiseux, pinaillage de juriste ! D'ailleurs, c'est encore Hollande qui nous le dit, "ce fut une longue nuit, et aussi un long matin". Aussi, la fatigue des négociateurs expliquerait peut-être l'incertitude du terme utilisé.
Qu'il soit pardonné au commentateur d'avoir un autre avis. Approuver un document, c'est s'engager à l'exécuter et à le faire respecter. "Endosser" un accord international, c'est la plongée dans l'inconnu, nul ne sait plus exactement s'il est engagé, ou s'il a seulement de loin approuvé du chef un accord auquel il ne s'oppose pas. C'est toute la différence qui existe entre ce que les juristes appellent une obligation de résultats, et une obligation de moyens. En d'autres termes, à Minsk, Poutine s'est engagé, Hollande et Merkel l'accompagnent de leurs bons vœux.
Il se dégage de la nouvelle déclaration de Minsk le parfum de l'hypocrisie.
Les parties concernées ?
Tous ces responsables politiques vont quand même devoir user de leur influence sur les parties concernées, ce sont les termes mêmes de la déclaration commune. Mais qui sont les parties concernées ?
Il semble que les plus importantes d'entre elles étaient absentes, ou quasi absentes des discussions de Minsk, et qu'elles ne se sentiront pas engagées par les accords qui ont pu être pris.
Il s'agit en tout premier lieu des belligérants eux-mêmes. Certes, les accords de Minsk ont été approuvés par Porochenko, et paraphés par les représentants des républiques autoproclamées de Lougansk et de Donetzk.
Personne ne peut assurer que Porochenko lui-même puisse, pour autant qu'il le veuille réellement, imposer aux bandes armées et aux milices nazies qui sévissent à l'Est et qui semblent échapper à tout contrôle, de respecter un accord de cessez-le-feu qui était négocié hier, dans le temps même où le ciel de Donetzk était illuminé par les tirs de l'artillerie lourde ukrainienne.
Le mécontentement est grand chez les séparatistes russes qui se battent sur un territoire dont Kiev cherche à les chasser, et auxquels il est à présent demandé d'interrompre une offensive victorieuse. Le "paquet de mesures" adopté à Kiev prévoit du reste curieusement que s'agissant du retrait de l'artillerie lourde de la ligne de front, ce retrait s'opérera à partir de l'actuelle ligne de front pour les troupes de Kiev, mais à partir d'une autre ligne, celle qui avait fait l'objet des accords de septembre 2014, pour les séparatistes.
Les autres grands absents des accords de Kiev sont, à l'exception de la République française et de l'Allemagne, les pays de l'Union européenne qui peuvent ne se sentir nullement liés par les bonnes intentions exprimées à Minsk. Nul ne sait quelles seront les réactions de pays comme le Royaume Uni, allié indéfectible des Etats Unis, ou comme la Pologne qui joue un rôle essentiel, rarement évoqué par la presse.
Mais le plus grand absent, ce sont les Etats Unis d'Amérique qui, en provoquant la chute du régime de Yanukovitch, pensaient prendre le contrôle sans coup férir de l'ensemble de l'Ukraine. Mûrement pensée, élaborée et préparée depuis de nombreuses années, l'opération de déstabilisation entreprise en Ukraine par l'Amérique a certes échoué. La Blitzkrieg américaine s'est brisée en Crimée, mais la stratégie américaine n'a pas changé. L'objectif reste le même, et l'Amérique n'a pas renoncé à obtenir un changement de régime à Moscou, et le départ d'un président russe qui la gêne. L'attaque-surprise lancée par les Etats Unis en Ukraine a certes fait long feu, la place-forte de la Crimée et le donjon de Sébastopol n'ont pas été pris, mais l'Amérique a causé à son ennemi, à l'ours russe, une blessure qui ne se referme pas, et qui affaiblit lentement, mais inexorablement la bête.
L'Amérique qui est encore moins liée par les accords de Minsk que pourraient l'être les pays de l'Union européenne, peut dès lors poursuivre son travail de sape, augmenter son aide militaire à Kiev et faire accorder à la junte ukrainienne les étonnants crédits du Fonds monétaire international qui lui permettront de financer son effort de guerre, pour le plus grand profit de l'industrie américaine de l'armement.
Poutine pouvait difficilement refuser un accord de cessez-le-feu. Mais le président a accepté un accord défavorable aux séparatistes sur le plan militaire, il a également renoncé à une possible fédéralisation de l'Ukraine, les accords de Minsk n'évoquant plus qu'une vague réforme constitutionnelle et un statut particulier pour les régions de Lougansk et de Donetzk. Hollande parle de décentralisation.
Quant à Porochenko dont tous ont noté l'inflexibilité, il ne pouvait tout simplement consentir aucune concession, car toute concession aurait immédiatement été interprétée par les nationalistes ukrainiens comme un signe de faiblesse, voire comme une trahison. De ce point de vue, la ténacité de Porochenko n'est que l'envers des choses, elle révèle l'impasse dans laquelle se trouve le dirigeant ukrainien pour n'avoir promis à son pays qu'un écrasement par la force de la rébellion sécessionniste à l'Est.
Dès aujourd'hui, de retour à Kiev, Porochenko qui n'a pourtant pas cédé devant Poutine, se voit reprocher par les plus extrémistes des siens d'avoir consenti, en termes pourtant bien vagues, au principe d'une réforme constitutionnelle et d'un statut particulier pour Donetzk et Lougansk, et d'avoir en quelque sorte ainsi disposé de la souveraineté nationale ukrainienne. Le statut particulier envisagé pour Donetzk et Lougansk est déjà contesté.
Les frontières ?
"Parties intéressées", "règlement global", nous dit Hollande. Mais la question de la Crimée n'a pas même été évoquée, ce qui n'a pas empêché les uns et les autres de rappeler leur attachement au respect des frontières.
Des frontières ? Oui, des frontières, mais lesquelles. Car les frontières héritées de la disparition de l'Union soviétique n'étaient, comme l'a déclaré Gorbatchev, que des frontières administratives. Il n'existait bien entendu aucune frontière entre la R.S.F.S.R. et la U.S.S.R., l'actuelle Russie et l'actuelle Ukraine, ce qui explique du reste que la décision prise, en 1954, de rattacher la Crimée à l'Ukraine, n'ait rien changé au mode de vie de la population, non consultée. Il en va tout autrement en 1991 lors de la disparition de l'Union soviétique.
Indépendamment même de la Crimée, les frontières séparant aujourd'hui la Russie et l'Ukraine posent problème, car depuis des siècles, l'Ukraine a fait partie de l'espace russe, de l'empire russe, puis de l'Union soviétique. Il ne s'agit pas d'Etats ayant appartenu pour un temps à une union qui se serait déchirée, comme il en irait par exemple du retrait d'un Etat désirant quitter l'Union européenne. Il s'agit de pays organiquement liés, ayant tissé des liens séculaires et familiaux. Séparer ces deux Etats, c'est en réalité procéder à une amputation cruelle et douloureuse.
La chirurgie occidentale est une boucherie, le sang coule, et la presse se tait, car ce qui importe ici, à l'Ouest, c'est de faire apparaître la Russie comme étant l'agresseur. Rien, presque rien n'est dit de l'atrocité des bombardements criminels de la population civile par les forces de Kiev, rien n'est dit sur le sort des familles, des vieillards dont les appartements sont détruits, rien n'est dit des conditions de fortune dans lesquelles les blessés sont soignés ou opérés, rien n'est dit des enfants mutilés, estropiés, handicapés pour la vie, rien n'est dit des centaines de milliers de réfugiés qui, sous les bombardements, ont gagné comme ils ont pu le territoire russe.
Pourquoi l'armée ukrainienne et tous les supplétifs qui l'entourent s'acharnent-ils à bombarder des quartiers ou des villages où il n'y a aucun objectif militaire ?
La réponse tient en quelques mots. A l'image de ce qui s'est passé au Kosovo, une vaste opération d'épuration ethnique est en cours dans l'Est de l'Ukraine. Les Russes qui vivent sur le territoire ukrainien, ne sont pas tous séparatistes, mais ils sont tous considérés par les nationalistes ukrainiens comme des "okkupanty", et ils doivent dès lors être chassés. C'est l'objectif essentiel des bombardements de la population civile. Cet objectif est déjà largement atteint.
Devant ces crimes, l'Occident, complice et menteur, demeure impassible.
Aucune guerre n'aurait jamais dû, aujourd'hui, au XXIème siècle, opposer les Russes et les Ukrainiens. Les vieilles querelles de l'Histoire ne peuvent expliquer un tel bain de sang. Mais à présent, il y a eu trop de mensonges, trop de crimes, trop d'atrocités, trop de malheur, et la réconciliation est pour longtemps impossible.
Voilà la raison véritable pour laquelle les accords de Minsk n'apporteront pas la paix. C'est peut-être ce à quoi pensait la chancelière allemande, hier, lorsqu'elle faisait part à la presse de son absence d'illusions.
Il existe pourtant un espoir, et une faible lumière s'est levée. Sur les pages et les écrans glacés d'une guerre des médias et d'une propagande démoniaque, et sous les faibles rayons d'un soleil d'hiver, des lueurs de vérité finissent par percer, en France, en Europe et même aux Etats Unis. Le corps engourdi de l'opinion publique, longtemps paralysée, se réveille lentement, et de ce réveil naîtront des changements politiques et un mouvement contre la guerre. Qui a dit cela, je ne sais plus, mais la vérité est toujours révolutionnaire.
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