Etats-Unis et Libye : amitié renouée
Après vingt-cinq années d’embargo drastique, Washington rétablit ses relations diplomatiques et commerciales avec Tripoli. La Libye, guidée par Kadhafi depuis 1969, passe ainsi du stade d’Etat-voyou terroriste à celui de sage élève des Etats-Unis. La réconciliation entre les deux Etats est désormais totale. Les échanges commerciaux vont pouvoir reprendre légalement entre les Etats du Nord, impatients de pouvoir s’approvisionner en pétrole libyen, et Tripoli qui accueillera prochainement une ambassade au drapeau étoilé. Une nouvelle page s’ouvre entre la Libye et les Etats-Unis.
Le blocus est officiellement levé. Le Guide voit son pays disparaître de la liste rouge américaine mentionnant les Etats terroristes. La secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice a annoncé, lundi 15 mai, la levée des sanctions réservées à la Libye depuis 1979. "Je suis heureuse d’annoncer que les Etats-Unis reprennent des relations diplomatiques complètes avec la Libye. La Libye sera également retirée de la liste annuelle des Etats qui ne coopèrent pas complètement avec les efforts antiterroristes des Etats-Unis". Tripoli redevient donc fréquentable aux yeux de la Maison Blanche "reconnaissante de l’engagement de la Libye dans son renoncement au terrorisme". Washington entend bien marquer le coup en plaçant la Libye comme désormais exemple à suivre. La Corée du Nord, l’Iran ou encore la Syrie et le Soudan savent vers qui se tourner et de qui s’inspirer pour s’attirer l’œil bienveillant de l’Oncle Sam. Une confiance retrouvée, fruit d’un travail de longue haleine.
Les années 1980 plaçaient la Libye et son Guide comme chef de file d’un mouvement terroriste anti-américain. Après l’assaut de l’ambassade américaine de Tripoli en 1979 par une foule de manifestants, les Etats-Unis ont rompu toute relation diplomatique avec "cet Etat qui parraine le terrorisme". Le président d’alors, Ronald Reagan, était bien décidé à mater "le chien enragé du Moyen-Orient" et à endiguer ses pratiques douteuses. En 1986, l’ONU sanctionne la Grande Jamahiriyya arabe libyenne populaire socialiste pour son rôle supposé dans plusieurs actions terroristes. Notamment dans l’attentat contre une discothèque ouest-berlinoise fréquentée par des GI. Ronald Reagan rétorque alors par une série de bombardements ciblés -15/04/86- sur les places stratégiques libyennes, dont la résidence du Guide. L’explosion en plein vol d’un Boeing 747 de la PanAm, le 21 décembre 1988, au dessus de l’Ecosse vient noircir un peu plus le sombre tableau de chasse libyen. La Libye revient de loin. L’Etat paria, infréquentable, s’est racheté une conduite. La véhémence du Guide s’estompe peu à peu, sa stratégie change de bord et s’adapte à une conjoncture internationale qui place les Etats-Unis comme allié inévitable sur l’échiquier mondial. 2003, l’année-tournant.
Le tournant politique s’opère au cours de l’année 2003. Tripoli reconnaît sa responsabilité dans l’attentat de Lockerbie et indemnise généreusement les victimes. Kadhafi marque un premier point. Mais ce qui va faire fondre la Maison Blanche, c’est le renoncement libyen au programme d’armes de destruction massive, autorisant les experts onusiens à le vérifier sur le terrain. L’obscurantisme des années 1980 laisse place à une politique de transparence qui ne laisse pas indifférents les Etats-Unis, alors en guerre avec l’Afghanistan et les Etats-Unis se voient ainsi soulagés d’un front potentiel. La ligne géographique du Maghreb demeure diplomatiquement acquise par Washington qui a su tirer parti des contentieux politico-historiques qui enveniment les relations franco-maghrébines. Dès septembre 2004, les Etats-Unis lèvent les sanctions onusiennes de 1986 pour aboutir aujourd’hui à une normalisation de la relation américano-libyenne. Le pétrole facilite la réconciliation...
Ce rapprochement a une forte odeur de pétrole... Largement plébiscitée par les industriels américains, cette normalisation économique et diplomatique permettra entre autres la reprise des ventes d’armes, et surtout les investissements pétroliers. Un nouveau marché s’ouvre, et quel marché ! Troisième réserve pétrolière du Moyen-Orient, première réserve du continent africain avec 39,1 milliards de barils de réserve, la Libye dispose d’atouts naturels non négligeables qui ne laissent pas indifférents les grands consommateurs de brut. Naturellement, les résultats économiques du pays ne cessent de s’améliorer depuis la levée de l’embargo, grâce à la remontée de la production de pétrole, à la reprise des exportations pétrolières et à la hausse du cours du baril depuis 2003. La hausse est d’ailleurs survenue quand on l’attendait le moins, au lendemain de la deuxième Guerre du Golfe, en avril 2003. Les spécialistes tablaient alors sur une augmentation de la production irakienne et sur le retour à un prix d’équilibre estimé autour de 25 dollars le baril. Mais les prix du pétrole sont repartis à la hausse au cours de l’été 2003. Les prix s’enflamment, au grand dam des puissances du Nord. Le prix du baril d’or noir a franchi la barre de 70$, enregistrant une hausse de 250% au cours de ces quatre dernières années. Ce qui a considérablement boosté l’économie libyenne, qui repose presque exclusivement sur l’exploitation pétrolière. La levée des sanctions américaines a permis aux groupes pétroliers de s’implanter en Libye. Ainsi, l’Occidental Petroleum Company, Chevron et Amerada Hess, ont d’ores et déjà bondi sur l’opportunité de traiter avec la Libye afin de diversifier leurs sources de production et de s’accaparer les gisements libyens de très bonne qualité, et de moderniser les installations souffrantes après vingt années d’ embargo international.
Ce rapprochement marque la fin d’une ère mouvementée. La Libye vient de tourner une page de son histoire. A compter d’aujourd’hui, la Libye est redevenue fréquentable par Washington, et peut ipso facto inerver le grand marché mondial. Hier encore "Etat terroriste", la Libye s’est rachetée une bonne conduite. La récompense : la clémence de la Maison Blanche elle-même, qui se traduit par une reprise des relations diplomatiques, et... économiques bien entendu. Kadhafi entérine la nouvelle politique économique nationale qui prend un virage à 180°. Libéralisation économique et ouverture aux investissements étrangers en constituent les ingrédients majeurs, se substituant à l’ex-politique socialiste. Après vingt ans d’isolement, la Libye a besoin d’investissements et de transferts de technologie pour moderniser ses infrastructures. Or, la Libye vit d’une économie de rente, basée sur les hydrocarbures. Cela tombe bien, les Américains en sont friands. Antichambre de la diplomatie, l’économie semble quelque peu guider cette réconciliation.
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