Faut-il interdire les démarchages téléphoniques purement et simplement ?
« Tout professionnel qui contacte par téléphone une personne en vue de la réalisation d'une étude ou d'un sondage respecte des règles déontologiques, rendues publiques, élaborées par les professionnels opérant dans ce secteur. Ces règles précisent notamment les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels les appels téléphoniques aux fins de réalisation d'études ou sondages sont autorisés. » (article 3 de la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020).
Et suit juste après : « Les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels peuvent être passés ces appels sont, en tant que de besoin, précisés par décret. ». Ce décret a mis deux ans à être rédigé et publié. À partir du 1er mars 2023, le démarchage téléphonique est en effet encadré de manière plus rigoureuse.
Prévu par la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, le décret n°2022-1313 du 13 octobre 2022 relatif à l’encadrement des jours, horaires et fréquence des appels téléphoniques à des fins de prospection commerciale non-sollicitée, signé par la Première Ministre Élisabeth Borne, le Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire et la Ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l'Artisanat et du Tourisme Olivia Grégoire, entre en vigueur ce mercredi.
Le décret limite les horaires accessibles à la prospection téléphonique : « Le démarchage téléphonique des consommateurs est autorisé du lundi au vendredi, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 20 heures. Il est, en revanche, interdit le samedi, le dimanche et les jours fériés. ».
Par ailleurs : « Un consommateur ne peut pas être sollicité par voie téléphonique à des fins de prospection commerciale plus de quatre fois par mois par le même professionnel ou par une personne agissant pour son compte. Enfin, lorsque le consommateur refuse ce démarchage lors de la conversation, le professionnel s'abstient de le contacter ou de tenter de le contacter avant l'expiration d'une période de soixante jours calendaires révolus à compter de ce refus. ».
Enfin, il prévoit des sanctions (sévères) en cas d'infraction : « La violation de ces règles est sanctionnée de l'amende administrative prévue à l'article L. 242-16 du code de la consommation (75 000 euros d'amende pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale). ».
Ce n'est pas la première fois que l'État tente de réguler plus strictement le démarchage téléphonique qui a souvent entraîné des ventes quasi-forcées et presque toujours une atteinte à la vie privée. Tout le monde a eu dans son entourage plus ou moins proche le cas d'une personne âgée dont on découvre, quand elle ne peut plus s'occuper de ses affaires personnelles, qu'elle était abonnée au câble ou à une chaîne cryptée alors qu'elle ne savait même pas que ça existait, et cela depuis vingt ans ! Avec la libéralisation de la fourniture de l'électricité, du gaz, etc., ce type de procédé, qui peut s'apparenter à un abus de faiblesse, a pu se multiplier.
Les efforts des gouvernements ont été pourtant permanents pour tenter de réduire les abus sans pour autant attenter à la liberté d'entreprendre. La loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon) a mis en place une liste d'opposition aux démarches téléphoniques appelée Bloctel qui a été mise en application le 1er juin 2016. Les entreprises de télémarketing doivent depuis lors vérifier que les numéros qu'elles démarchent ne sont pas présents dans cette liste. Elle prévoyait déjà les mêmes sanctions lourdes pour les contrevenants : 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
Mais le concept de Bloctel est resté inefficace. Une nouvelle loi a donc été votée : la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020, entrée en vigueur le 26 juillet 2020, a renforcé la lutte contre les abus et les fraudes, en particulier en interdisant le démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique. Un décret a donné plus de contraintes à partir du 1er avril 2022, en particulier l'impossibilité de signer un contrat avant 24 heures après l'appel.
Cependant, en 2022, Matthieu Robin, chargé d’étude à l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, déplorait sur franceinfo : « Bloctel est un échec patent car il y a de plus en plus de consommateurs qui sont sollicités par le démarchage en général, et les litiges n’ont pas cessé d’augmenter les dernières années. ». En 2022, il y a eu environ 240 000 litiges contre des démarchages abusifs, c'est-à-dire des "appels téléphoniques commerciaux non désirés", signalés sur la plate-forme SignalConso. C'est considérable.
Toute la législation et réglementation s'est révélée souvent inefficace, car les démarcheurs ont de nombreux autres moyens pour tromper les consommateurs (et contourner la loi), en se présentant sous une fausse vitrine (connue, comme la Sécurité sociale ou une mutuelle connue), ou en cas d'identification, les sociétés fautives déposent leur bilan et se recréent sous une autre identité pour éviter les sanctions.
Le démarchage téléphonique est donc une véritable plaie et certains parlementaires, dans la législature précédente, avaient demandé l'interdiction pure et simple du démarchage téléphonique sauf si le prospect a clairement indiqué accepter d'être appelé pour une prospection commerciale (c'était le cas du député LR Pierre Cordier dont la proposition de loi a été rejetée le 21 juin 2018). Le gouvernement de l'époque avait rejeté l'idée en considérant qu'elle mettait en péril les centres d'appels en France qui respectent la réglementation (et d'ailleurs, rien n'empêche un prospecteur de s'installer à l'étranger).
Effectivement, Delphine Gény-Stephann, la Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances de l'époque, qui avait montré son accord pour améliorer le dispositif, a déclaré à l'Assemblée Nationale le 21 juin 2018 : « Le gouvernement est plus réservé quant aux mesures qui, sans apporter une réponse efficace à la fraude, pénaliseraient le démarchage respectueux de la réglementation. Cela pourrait être le cas de la mesure consistant à présumer que le consommateur est opposé à tout démarchage quel qu’il soit, et à rendre illégal tout démarchage qui n’a pas été explicitement demandé. Elle pourrait méconnaître le fait que le démarchage peut faire jouer la concurrence pour proposer de nouveaux produits et services aux consommateurs. ».
Le journal "Ouest France" a proposé quatre moyens pour se débarrasser des prospecteurs abusifs : s'inscrire sur les listes rouges (dont Bloctel) mais c'est rarement efficace ; mentir au démarcheur et lui dire n'importe quoi mais il faut avoir le temps pour cela ; acheter un téléphone spécial qui demande à l'appelant, avant de sonner, un code que seul le propriétaire de la ligne aura donné à ses interlocuteurs potentiels, solution qui paraît très efficace depuis 2021 mais qui coûte cher au consommateur et utilisable seulement pour un téléphone fixe ; utiliser une appli de blocage pour les téléphones mobiles (plus ou moins efficace).
En fait, il y a peu de solutions vraiment satisfaisantes et durables et les consommateurs en sont réduits souvent à jouer au chat et à la souris avec les démarcheurs abusifs. Le risque d'une solution du type : seules les personnes autorisées peuvent m'appeler, c'est l'impossibilité de l'imprévu, des rencontres nouvelles, des croisement d'idées, c'est ce qui se passe déjà dans les réseaux sociaux où les idées se mordent la queue, tournent en boucle, se répétant et s'auto-confirmant, sans chercher à l'extérieur d'idées autres, nouvelles, différentes.
Et la liberté, favorable à l'innovation (et au mouvement), se couple mal avec l'encadrement et la sécurité qui fige une situation donnée dans la durée. C'est l'histoire des digicodes en bas des immeubles, la sécurité empêche le contact direct. Ce qui est sûr, c'est qu'aucune solution durable ne peut être envisagée sans une harmonisation internationale, au moins européenne, minimale.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Faut-il interdire les démarchages téléphoniques purement et simplement ?
Le Black Friday.
Pouvoir d’achat : l’idée révolutionnaire de Jean-Louis Bourlanges.
L'homme le plus riche du monde.
L’homme qui valait 30 milliards.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON